Moments privilégiés que ceux de la lecture. D’abord celle reçue de la voix des autres.
Je devais avoir 6, 8 ou 10 ans ?. L’une ou l’autre de mes sœurs, nous lisait à mon frère et à moi - mais je voulais croire qu’elle ne s’adressait qu’à moi - des livres de TRILBY et d’autres récits de la Petite Bibliothèque Rose. Au-delà de la vision de mon père perdu dans ses livres et entouré de sa bibliothèque, c’est à mes soeurs sans doute que je dois le goût des livres et de la lecture.
Aussi à certains professeurs qui, fin de journée ou fin de semaine, nous faisaient cadeau de quelques moments de lecture orale. Tel professeur nous lisait des extraits d’un mince brochure rose et faisait ainsi découvrir la vie de saints missionnaires et de pieux martyrs. Plus tard en 3ème latine, ce fût l’abbé S., qui nous fit partager sa passion de la littérature française, à travers notamment la « Columba » de Prosper MERIMEE et son admiration pour Marcel PROUST.
C’est de ces moments de grâce, de rêve, de rupture avec le réel, que j’ai gardé le goût de la lecture et, durant quelque temps, le projet d’être écrivain.
J’écrivais bien, semble-t-il, et mes quelques rédactions séduisaient des professeurs pourtant exigeants à cet égard. Il s’agissait d’une littérature sans doute assez sentimentale et au climat un peu triste mais déjà marquée, me disait-on, d’une patte ou d’un style.
Ces qualités d’écriture aidaient à relativiser mes faiblesses en d’autres branches. Je ne serais ni mathématicien ni scientifique ni voyageur héroïque. Je serais écrivain.
Ce projet s’est éteint en Poésie. L’abbé L., notre titulaire, nous avait fixé comme devoir d’écrire un poème. Je pouvais enfin confirmer mes qualités littéraires et voir ma première œuvre publiquement reconnue. J’ai consacré plusieurs heures à rédiger ce poème, éminemment romantique, puisqu’il parlait du soleil se couchant dans un mer de sang. J’étais très fier de cette oeuvre, dont j’avais sans doute tiré l’inspiration mais non le texte de BAUDELAIRE et de Victor HUGO. Après la remise de ce que je n’étais pas loin de considérer comme un chef-d’oeuvre, il fallu plusieurs jours pour entendre le verdict. Du haut de l’estrade, à la fin de la lecture des cotes et de quelques textes, l’abbé L. cita le mien. C’était, disait-il, le plus beau, le mieux écrit, le mieux construit. Il était dès lors évident que ce ne pouvait être moi qui l’avait écrit. C’était une copie ou un aîné m’avait aidé. Honte, rage, déception et surtout tristesse. Je crois que ma vocation d’écrivain s’est arrêtée ce jour-là.

2 commentaires Répondre

  • Jacqueline Bouzin Répondre

    Bonjour Jean,
    Ton texte m’a touchée car briser un rève d’enfant par le scepticisme ou le soupçon est criminel.
    Mais,pour réaliser un rève d’enfant, il n’est jamais trop tard ! A douze ans, je voulais jouer la valse de l"Adieu de Fr. Chopin. J’ai attendu d’avoir 40 ans et deux fils en 6ème primaire pour m’inscrire à l’Académie. Cinq ans de solfège et de piano en cours du soir, après une journée de travail. Dur, dur ! Mais quelle joie de jouer ma fameuse valse et de recevoir mon diplôme avec 80%.J’en ai été plus fière que de tous mes diplômes universitaires et j’écoute d’une toute autre oreille les
    grands pianistes.D’ailleurs, Jean, tu es écrivain puisque tu participes à JMV...
    Bien amicalement. Jacqueline.

  • Girouette Répondre

    Et pourtant c’est bercée d’impatience et de joie que je retrouve tes textes, est-ce que l’écrivain serait revenu en toi malgré tout ? 😉

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