Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « Entre rire et pleurer »

J’avais sept ans quand je fus inscrit à l’école du village et admis en première année. J’héritais de mon frère aîné, un cartable en cuir, ajusté à mon dos, recousu par le bourrelier du village à l’aide de corde de chanvre enduite de poix , ce qui m’entourait d’une odeur de harnais pour chevaux. J’étais fier de ma nouvelle ardoise insérée dans un cadre en bois, striée d’un côté de trois lignes rouges pour la calligraphie et de l’autre, de lignes rouges et de carrés pour le calcul et l’écriture ordinaire. Une petite boîte métallique ayant contenu des bonbons à la réglisse servait d’étui à une petite éponge que je négligeais régulièrement d’humecter et qui devait servir à essuyer mon ardoise. Et dans les cas d’oubli, je la remplaçais par un jet de salive que je balayais du revers de la manche de mon tablier noir d’écolier. Mon cher tablier avait deux poches, dans celle de gauche, mon trésor, ma tétine délabrée que tous croyaient disparue, mais pour moi d’un réconfort inestimable et, qu’avec pudeur, candeur et ruse je parvenais à dissimuler. Elle n’était pas hygiéniquement parlant des plus appétissantes et à l’occasion, pour une réminiscence passagère, à l’abri de tout regard, je roulais ma chère tétine dans le bocal de cassonade. Dans ma poche droite, un mouchoir de poche propre, me rappelait invariablement la recommandation de ma mère de ne plus renifler. Le mouchoir trop bien repassé et non déplié lors de l’usage, était finalement employé pour m’essuyer les doigts couverts de mucus, n’ayant pu centrer mon évacuation nasale correctement.
J’ai conservé le souvenir vivace d’avoir été séquestré dans le trou noir du bureau de l’instituteur . Cette punition était appliquée assez régulièrement aux petits chahuteurs !
L’endroit était sinistre et obscur, et comme il s’agissait d’une punition, pas très confortable mais je pouvais m’y asseoir sur le plancher de l’estrade. Je m’habituais à l’obscurité et trouvais que finalement, cela ressemblait à une petite maison. J’avais un peu de lumière venant de l’ouverture où le maître étendait ou croisait ses jambes. Je me mis alors à occuper mes idées sur ce que je pourrais faire pour tromper mon ennui. Je n’avais finalement que les pieds de l’instituteur comme centre d’intérêt. Le pantalon était gris rayé de lignes noires.
Je me demandais si ses jambes étaient poilues comme celles de mon père mais je ne pouvais m’en assurer, les chaussettes grises montant trop haut. Je m’attardais donc sur ses souliers noirs. Ayant croisé les jambes, une bottine arrivait à la hauteur de mes yeux. Inerte, certes, mais provocante par son insolence, elle était bien cirée. Cela sentait le cuir mêlé aux effluves de la transpiration plantaire. J’examinais maintenant en détail cette chaussure. Elle n’était pas toute neuve puisqu’elle avait manifestement été ressemelée. Ce devait être une chaussure agréable car le maître s’en chaussait tous les jours. Cinq œillets de chaque côté, un lacet semblant neuf, sans nœud. La cocarde était un peu négligée, sans doute le maître s’était-il chaussé le matin un peu dans la précipitation, car les boucles du lacet étaient différentes et un des brins plus long que l’autre. Cela était contraire à mon éducation, car ma mère nous avait appris à d’abord saisir les deux bouts du lacet et les mettre à la même hauteur. Cela pouvait être à l’origine d’un accident pour le maître s’il venait à marcher sur le bout trop long. J’essayais de ne plus penser à cette anomalie qui, obsédante, ramenait mon regard invariablement sur le défaut. Car c’était un défaut qui pouvait avoir des conséquences. Ma conscience s’engageait dans le problème. J’étais partagé entre ma situation de puni et le devoir de corriger quelque chose. C’est ce dernier qui devint prépondérant. J’approchais donc discrètement du pouce et de l’index les bouts du lacet plus court afin d’en rétablir les longueurs. Mais, étant donné ma position inconfortable, je n’étais pas « à ma main » comme disait mon père quand il m’apprenait à l’aider. Il ne restait plus qu’une possibilité : le bout du lacet le plus long, plus accessible, plus « à ma main ». Je ne pouvais plus résister à la tentation d’effecteur la correction, oubliant de plus en plus ma situation de puni. « Est-ce que le maître le sentira si je tire doucement, très doucement sur le lacet ? ». C’est un risque que je dois prendre.
J’hésite encore, appréhendant le courroux du maître. Ou peut-être sera-t-il reconnaissant de mon geste ? Finalement, j’opte pour la douceur. Je vais donc commettre mon geste, peut-être osé mais irrésistible. C’est décidé, c’est maintenant. J’approche donc mes pouce et index en forme de pince, saisis le bout du lacet, tire tout doucement, lentement … et c’est l’explosion …
Dans une ruade, je me retrouve projeté dans le coin du pupitre. Cela va très vite. Je me sens saisi par le collet et extrait de mon refuge. Presque sans toucher terre, je me retrouve dans un autre coin, celui de la classe. A genoux, où je pourrai méditer pendant toute la récréation sur l’incompréhension des adultes.
Mon acte aura pour conséquence que je ne serai plus puni comme les petits mais mis au coin comme les grands !

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