4. Mon premier lopin de terre.

Convaincu de ma bonne volonté et de mon sérieux, un jour, Gustave m’ordonna néophyte assistant et me confia un petit carré de terre dans son potager.

 C’est pour toi, me dit-il, en traçant de sa bêche les limites du lopin de terre qu’il m’octroyait. Je t’ai montré tout ce que je sais. Nous allons bien voir si tu as la main du jardinier. Débrouille-toi. Sache pourtant que la culture des radis suit ses propres règles. Il te faudra d’abord bien retourner la terre, la ratisser ; ensuite y tracer des sillons dans lesquels tu sèmeras deux par deux, tous les trois doigts, les graines que voilà. Tu refermeras les sillons, tasseras légèrement la terre avec ton pied, et l’arroseras comme il faut, chaque jour, car les radis ont toujours soif.
.
Jamais Gustave n’avait parlé aussi longtemps. Il souleva sa casquette, essuya son front avec son grand mouchoir à carreaux rouges et blancs et ajouta :" Ici, les outils sont trop grands mais une bêche et un seau de plage feront bien l’affaire. Demande à ta maman".
.Je fis donc comme il me l’avait appris. Retourner la terre, l’attendrir, la ratisser, l’ensemencer, lui donner à boire, n’avaient plus de secret pour moi.
Comme je l’avais vu faire, je m’appuyais sur le pommeau de ma bêche entre deux pelletées pour examiner l’horizon, je plantais en l’air mon petit doigt mouillé de salive pour écouter sa chanson, et surtout, à l’heure bénie, j’avalais, en compagnie de Gustave, l’escargot baveux qui devait me gagner les faveurs des dieux du jardin.
Les radis devinrent une obsession. La nuit, j’en rêvais. Je voyais des grosses boules rouges s’échapper du potager et s’envoler, tels des dirigeables rouges, et disparaître, à jamais, dans les nuages. Toute la journée, je trépignais d’impatience, attendant que la cloche sonne la fin des cours et que, l’école vidée de ses élèves, Gustave me laisse entrer dans son potager.

5 Ma première botte de radis.

Durant tout le temps que la terre tint la semence en elle, je n’eus pas de repos ; ne cessant de tourner autour d’elle, de la caresser, de l’arroser, surveillant de près l’évolution des choses, craignant qu’un événement imprévu n’en vint troubler le bon déroulement.
Et puis un jour, je vis les germes des radis sortir de terre sous mes yeux. Je hurlai de joie et de fierté. J’avais mis la terre de mon côté.

 Pas trop vite, me calma Gustave. La vigilance est de rigueur. Tout peut encore arriver. Tu n’es pas le seul à aimer les radis. Taupes, vers de terre, puces et limaces, n’attendront pas d’être invités au banquet pour s’en régaler. Les mauvaises herbes sont aux aguets, prêtes à prendre leur place, et si tu ne les éclaircis pas, les radis sont aussi capables de s’étouffer. Et surtout n’oublie pas de leur donner régulièrement à boire. Si tu oublies de les arroser, ils deviennent piquants et ne seront plus bons qu’à nourrir les lapins
Je pris donc les précautions d’usage comme il m’y encourageait.
Et le jour vint où je pus enfin assister au miracle de la création. J’avais soufflé sur la terre et la terre avait mis au monde des pousses vertes, gorgées de chlorophylle, qui se déplièrent, dans le soleil et la rosée en touffes de feuilles ovales, d’un vert persistant.

 Ils sont à point, m’avertit Gustave. Tu peux y aller. Qu’attends-tu pour les sortir de là ?
J’étais anxieux J’y allai prudemment. Du bout des doigts, je pris une tige à raz de terre, tirai dessus et, s’élevant du sol, elle ramena avec elle, un fruit ronds et rosé, bien propre, bien lisse, brillant au soleil, pas plus gros qu’une cerise, prolongé par une petite queue telle un cil de cheval blanc. Je n’en croyais pas mes yeux.

 Tu as réussi, s’enthousiasma Gustave. Voyons voir ce que donnent les autres plants ?
IL y en avait quatorze et je sortis de terre quatorze radis

 On en fera une botte de douze, proposa Gustave Tu les offriras à tes parents. Ils seront bien contents. Vous les croquerez en famille.
Tu as la main du jardinier, tu viens de le prouver, tu peux être fier de toi. Nous, on "croquera au gros sel" les deux qui restent.
On s’assit donc sur notre seau et on avala chacun son radis assaisonné du gros sel que Gustave avait apporté avec lui. Ce fut le délice des anges.

6. Le pacte d’alliance

Ce jour là, dans le ciel, il y avait la terre ; sur la terre, il y avait un potager ; dans le potager, il y avait un enfant, et dans la main de l’enfant, il y avait un radis. Et l’enfant riait et l’enfant chantait. Entre lui, la terre et le ciel un pacte d’alliance avait été passé.

Depuis lors, j’ai toujours gardé, grâce à Gustave, un réel respect pour la terre et pour les fruits qu’elle nous offre si nous savons l’apprivoiser. Giuseppe Arcimboldo aurait-il pu composer ses têtes végétales si les jardiniers n’avaient d’abord produit les fruits et les légumes dans lesquels il a abondamment puisé.
Reconnaissons-le : l’expression, "être creux comme un radis" qui fait allusion à la chair légère de celui-ci, est abusivement injuste. Elle semble ignorer le travail fertilisant de la terre et surtout l’habileté et l’opiniâtreté dont l’homme doit faire preuve pour la faire fructifier.
Par contre, " ne pas avoir un radis en poche" signifie bien qu’on est pauvre comme Job, car le radis est bien plus riche qu’on ne le croit en minéraux et vitamines de toutes sortes.
Ce n’est pas pour rien que les Grecs offraient des radis d’or à Apollon

Si le paradis n’existait pas, on devrait l’inventer. Ainsi pourrait-on graver en lettres d’or sur la pierre tombale de Gustave, aujourd’hui décédé :
" Ci-git,
Gustave
le jardinier
Du Pa

 
RADIS- ".

José T.

6 commentaires Répondre

  • jeannineK Répondre

    je découvre aujourd’hui ce superbe texte du jardinier

    en ville nos premières découvertes étaient la germination du haricot dans l’ouate humide

    je sème sur ma terrasse , je guète le premier signe vert avec autant d’enthousiasme que l’enfant du récit

    la nature nous donne tous les jours de quoi s’émerveiller

    merci pour la tendresse et l’émotion qui se dégage du récit

  • Lucienne Englebert Répondre

    Cher José,
    Magnifique votre texte, tant pour le style que pour son contenu.
    J’ai été particulièrement touchée par l’enfant qui se révèle créateur et son émotion profonde face à cette découverte.
    J’en avais les larmes aux yeux, vraiment.
    Merci.
    Lucienne Englebert.

  • anne marie f. Répondre

    merci José T pour vos mots de ciel et de terre et pour nous avoir fait connaitre Gustave. et ça, juste au moment où je viens de recevoir un grand seau de pommes d’automne ramassées dans une prairie ; j’ai tout à coup envie de préparer des pots de gelée de pommes. Hmmm le parfum...anne marie F.

  • Jacqueline B. Répondre

    Merci, José pour ces textes ravissants qui exaltent si joliment l’union sacrée entre le ciel et la terre, pacte que scelle le jardinage.

    Moi aussi, lorsque je travaille dans mon potager et guette le développement des courgettes , fleurs jaune soleil d’abord, puis longs fruits d’un vert intense, je pense à la nécessaire patience, à la ténacité, qu’exige tout travail de germination. Et je reconnais que cette idée m’a souvent aidée à accepter la longue adolescence tumultueuse de mes fils !!!

    Quel beau cadeau vous a fait votre ami jardinier en vous initiant à la création de votre paradis ...

    • José trussart Répondre

      Bonjour Jacqueline,
      Voici donc la courgette associée au radis, souhaitons leur de faire bon ménage.
      Quant aux adolescents qu’il faudrait orienter dans leur croissance, ne les prenons pas pour des légumes.Ils ont en eux ,comme nous tous,humains, les pulsions de la liberté qui les détourneront comme par instinct des flèches que nous voudrions qu’ils suivent.Patience et tenacité et plus encore ,accueil sans condition, n’est-ce pas.
      Je vous envie.Je n’ai pas de jardin.je suis heureux de vous avoir fait plaisir en le faisant revivre.
      Bien à vous et vive les courgettes .

      José.

    • José trussart Répondre

      Bonjour Anne-Marie,

      Bienheureux de vous avoir fait plaisir et d’avoir pu ressusciter un Gustave qui est à lui seul tous les jardiniers de la terre.
      Le parfum de la gelée de pommes m’enivre les narines tel un chat appâté par une sardine.J’en ronronne !

      Bien à vous.

      josé

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