Dès la fin du 1er doctorat en médecine, commençaient les stages dans les hôpitaux de l’assistance publique de l’agglomération bruxelloise.

Ces stages, non rémunérés, obligatoires durant les 3 dernières années d’études et dont les cotes intervenaient dans les résultats de fin d’année, étaient l’apanage des études médicales à l’ULB et en faisaient sa réputation. En effet, à Liège et à Louvain les stages hospitaliers n’avaient lieu qu’en toute dernière année.

J’avais choisi, comme premier stage de 3 mois, un stage en médecine interne à l’Hôpital de Saint-Gilles.

J’avais 21 ans, une tête déjà bien remplie, mais je ne savais rien de la vie à laquelle j’allais être brutalement confrontée, n’ayant jamais mis les pieds dans un hôpital.

Le 1er août 1956 à 8hrs du matin, après avoir dûment enfilé ma première blouse blanche que l’infirmière me noua dans le dos et qui, je l’apprendrai rapidement, était le vêtement distinctif des étudiants, j’entrai pour la première fois de ma vie dans une salle d’hôpital.

Je vois encore cette longue salle au parquet de chêne blond, ciré (et non encore vitrifié) et de chaque côté 15 lits dont certains séparés par un mince rideau blanc.

Y étaient allongés des femmes de tout âge, de toutes classes sociales sauf de la haute bourgeoisie, et belge pour la plupart. Toutes avaient en commun l’angoisse et la souffrance ;

L’organisation du travail en salle était très structurée. Les soins étaient assurés par une infirmière dûment diplômée, supervisant 2 aides-soignantes et une religieuse en coiffe bien que l’hôpital fût civil.

La responsabilité médicale incombait à un médecin de salle – spécialiste en médecine interne assisté d’un "interne", étudiant en 3ème doctorat et un "externe", d’un an son cadet, moi en l’occurrence.

C’est cet interne, fils d’un haut magistrat gantois, parfait francophone, gentil, patient et compréhensif (n’avait-il pas été dans ma situation un an auparavant ?) qui m’apprit l’ABC de ce qui serait désormais mon travail chaque matin : faire les prises de sang, prendre la tension, et faire les dossiers des entrants.

Première prise de sang : serrer le garrot juste bien, ni trop, ni trop peu ; trouver la veine par de petits tapotements dans le creux du bras, piquer vite et sans hésitation pour faire le moins mal possible, et enfin recueillir avec adresse le précieux liquide rouge dans un tube stérile sans mettre une goutte de sang par terre à cause du parquet ciré.

Nous travaillions sans gants et le matériel (seringue en verre, aiguilles) étaient réutilisé après nettoyage et stérilisation dans un "Poupinel".

Prendre la tension artérielle : je mis mon stéthoscope flambant neuf aux oreilles et du apprendre à discerner le bruit des pulsations du sang passant dans l’artère du bras en relâchant peu à peu la pression du tensiomètre à mercure.

Pour faire le dossier des entrants, l’interne m’apprit à regarder, observer le malade, la couleur de sa peau, de ses conjonctives, un fin tremblement des mains etc… puis à toucher le corps d’une inconnue pour l’examiner et recueillir diverses informations.

Après avoir passé 4 années, le nez dans mes notes et dans mes livres, à mémoriser une somme de connaissances considérables et de ce fait développer l’intellect à outrance, je me sentais brusquement plongée dans la réalité de la vie pure et dure.

Tout en percevant très bien que j’entrais enfin dans le vif du sujet et que tout ce que j’avais appris allait enfin pouvoir être utilisé. Ce contact brutal avec le monde si particulier me submergeait : je n’étais pas du tout aguerrie à travailler en équipe, encore moins à vivre la souffrance, l’angoisse et parfois la mort au quotidien.

Mais je compris très vite que si je voulais poursuivre et terminer mes études, il était impérieux de faire face à tout prix. Surtout ne rien laisser transparaître de mon désarroi, m’endurcir, faire taire mes sentiments de compassion et mon angoisse et me centrer intellectuellement sur les maladies et non les malades pour les diagnostiquer et parfois les guérir.

Ce travail d’adaptation difficile voire contre nature, beaucoup de mes camarades ont dû le faire et à l’époque aucune aide psychologique n’était en place pour nous y aider.

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