1958, une année de soleil, de curiosité intellectuelle, de découvertes et de fierté. N’avais-je pas 12 ans, une queue de cheval bien tirée, les insignes de sizenière sur mon pull de louvette, un magnifique bulletin, le plus merveilleux des papas du monde ? Ma bibliothèque était riche de nombreux romans, d’ouvrages documentaires, d’encyclopédies. J’adorais mes sœurs, mes parents, mon professeur de piano… Bref j’étais une petite fille heureuse. Alors, imaginez, quand cette exposition s’annonça…
Mon scientifique de père nous y emmenait tous les jours et nous visitions très systématiquement un pavillon, puis l’autre. Après une semaine de ce régime, Maman en avait assez de lutter contre les puces qu’elle ramassait à chaque occasion (et d’ailleurs d’étranges migraines survenaient souvent en fin de journée) et ma sœur Anne n’avait plus qu’une envie c’était jouer, sauter à la corde, faire le clown debout sur les montants des balançoires au jardin. Quant-à Aline, le bébé de la famille, de toute façon elle dormait dans sa poussette.
Papa décida donc que nous irions à deux à cette grande fête. Il m’expliquait chaque vitrine, chaque stand, m’autorisait à prendre tous les prospectus disponibles, patientait longuement lorsque je m’extasiais devant les maquettes animées proposées par certains pays. De mon côté, je ne me plaignais de rien. J’attendais tranquillement pendant qu’il prenait ses photos, l’écoutais m’expliquer la théorie d’Einstein, essayais vaillamment de retenir les règles de physique et les fondements de biologie cellulaire qu’il m’inculquait. Tout nous intéressait et nous avons souvent dû regagner les sorties en hâte à l’heure de la fermeture. Parfois Papa se souvenait que je n’étais encore qu’une grande petite fille. Il m’offrait une glace, bien trop grosse, ou même un coca cola, boisson rigoureusement interdite à la maison. Bien sûr en rentrant je n’avais plus du tout envie du repas préparé et gardé au chaud à notre intention par Maman qui ne manquait pas de déclarer à Papa que, vraiment, il exagérait. Mais je me glissais en vitesse dans mes draps blancs (repassés à l’époque, aujourd’hui je les étire bien en les sortant de la machine) et j’ouvrais avec délice un Marabout Mademoiselle, au titre qui éveillait mille étoiles (’58 bien sûr) dans mes yeux : « Isabelle fair hostess ».
PS. Aujourd’hui j’ai pris conscience de certains côtés odieux de cette par ailleurs enthousiasmante expo ’58. L’exhibition d’êtres humains sensés présenter la vie dans les colonies m’apparaît comme particulièrement scandaleuse. Lorsque j’y pense, j’ai honte, même si mon père, sensible sans doute à ce manque absolu de respect pour de la dignité de ces hommes, ne m’a pas emmenée voir le pavillon du Congo.