En 1958, j’avais 12 ans et je venais de commencer ma 6ème latine à l’Athénée Royal d’Etterbeek.

Peu auparavant, mes grands-parents, ayant pris leur retraite, étaient allés habiter chez mon oncle, à Jette, 5 Square Robert Allein, non loin du Heysel.
De chez eux, sur la colline, on voyait se construire l’Atomium, et on rencontrait sur les grandes routes de gigantesques camions qui transportaient les grands tubes constituants celui-ci.

Toute ma famille se souvenait de l’Exposition de 1935, qu’ils avaient visités à maintes reprises et me racontaient ce dont ils se souvenaient.

Mes parents avaient pris l’initiative d’acheter trois abonnements (ils coutaient 500 F pour les adultes) et, dès le printemps, chaque samedi, le même scénario se répétait : quittant Woluwe vers 10 h, avec "Rosalie", la première VW bleu horizon de mon père, nous allions dîner chez mes grands-parents.
Dès le repas achevé, nous laissions la voiture devant leur maison et descendions à pied vers l’entrée de l’Expo avenue Houba de Stropper.
Nous arrivions par l’entrée "des Nations" et traversions alors le pavillon des Nations Unies où l’on projetait un petit dessin animé avec des personnages amusants qui évoluaient à la préhistoire.
On découvrait aussi les toutes nouvelles Communautés Européennes : le pavillon de la CECA avec sa mine de charbon, celui du Conseil de l’Europe où j’ai acquis le premier timbre de service de cet organisme (une surcharge sur le timbre français de 35 Fr représentant la cathédrale de Rouen).

Mes parents s’étaient fait des amis en 1955 pendant nos vacances à l’hôtel du Perekop à Berdorf au Luxembourg : René et Valérie Lebegge.
Ces gens, un peu plus âgés que mes parents, nous avaient trouvé sympathiques et nous avaient fait profiter de leur voiture pour visiter ce pays que nous ne connaissions pas encore.

Eux aussi s’étaient abonnés et nous avions rendez-vous chaque samedi après midi pour parcourir ensembles les différents pavillons de l’exposition.
On se retrouvait au restaurant "Civitas Dei" devant le pavillon du Vatican pour y déguster une crème à la glace tricolore : vanille, fraise, chocolat…

A partir de ce moment, nous commencions la visite des palais de chaque pays.
Autour du point de rendez-vous, il y avait les pavillons français (avec une flèche qui pouvait rivaliser avec celle du Génie Civil), thaïlandais (sa pagode dorée nous émerveillait, surtout que la plupart des autres bâtiments étaient ultra modernes !), non loin de là, se faisant vis-à-vis : les Etats-Unis et l’URSS.
Le premier, ovale, disposait d’un cinéma à 360°, féérique et impressionnant, le second présentait leurs 2 premiers Spoutniks, quelle merveille pour un gamin de 12 ans !
On y distribuait de superbes brochures vantant les miracles de la civilisation soviétique, avec de belles photos de paysans heureux devant leurs belles récoltes, etc…

L’Expo était pour moi comme un grand livre de géographie, je découvrais de nouveaux pays dont j’ignorais alors jusqu’à l’existence : le Nicaragua, les colonies portugaises éparpillées en Afrique ou en Océanie, …
La plupart nous présentaient leur production : au pavillon espagnol, on achetait du raisin blanc et des melons ; au Brésil, du café et des pierres précieuses (ma mère y a reçu de mon père une belle topaze jaune), en Yougoslavie, on m’a acheté une ceinture de cuir…

Plein d’autres palais et pavillons retenaient notre attention : les Pays-Bas avec leurs vagues artificielles, la Tchécoslovaquie avec sa turbine géante ; par contre le pavillon de la Grande-Bretagne me semblait vide et une musique étrange y était diffusée, on ne s’y est pas attardé.
En Norvège ou en Finlande (les deux pavillons étaient contigus), ils proposaient des petits phoques en vraie fourrure !

Au pavillon Hachette, j’ai pu voir un premier "cerveau artificiel" mais il m’a déçu : ce n’était rien d’autre qu’une sorte de "juke-box" qui répondait à des questions pré-enregistrées avec une lenteur (on voyait se déplacer un bras qui sortait un disque d’un rangement et le posait sur une platine avant de débiter un message enregistré…)
Mon professeur de français l’avait interrogé et … mis en échec !
On était encore loin en ce temps là de l’informatique d’aujourd’hui.

Au pavillon des télécommunications, il y avait une machine à écrire incroyable qui permettait d’écrire un texte sur une autre machine située à côté d’elle ! (un télex).

Je ne garde que peu de souvenir des fêtes ou des spectacles, qui n’intéressaient pas mes parents, et très peu de la Belgique joyeuse que nous n’avons visité qu’une fois.
Je me souviens juste de vieilles ruelles moyenâgeuses (comme à Bruxelles ou à Bruges) avec de petits cafés, d’une chanteuse des rues, habillée en costume d’époque 1900, qui entonnait "frou-frou", d’un avaleur de sabres…

Le seul spectacle que j’ai pu voir, la "Lanterna magika" de Prague, un savant mélange de cinéma noir et blanc et de mime, m’a charmé.
Une autre fois, par hasard, on a assisté à une représentation de marins américains qui devaient passer, accompagnés d’une musique caraïbe, sous une barre placée de plus en plus bas en restant toujours en appuis uniquement sur leurs pieds…(incroyable).

Nous nous sommes toujours promenés, mais il était possible d’utiliser soit le téléphérique (depuis les grands palais, en passant sous l’Atomium, jusqu’aux environs du pavillon américain), soit le petit train automobile, soit le pousse-pousse pour deux passagers.
Et l’exposition disposait d’un héliport ou évoluaient des hélicoptères de type "banane" en provenance de l’Allée verte près du centre ville ou de l’aéroport.

J’allais toujours de découvertes en découvertes : je crois aujourd’hui que ma vie a été très influencée par cette belle exposition internationale :

 j’y ai appris à aimer la géographie et les voyages,

 à m’intéresser à toutes sortes de domaines,

 j’y suis devenu un européen convaincu,

 j’y ai découvert la philatélie (aujourd’hui, je possède tous les timbres Europa depuis l’origine de cette thématique, c’est-à-dire depuis 1956).

Mon futur métier sera influencé, quant à lui, par les visites au palais des sciences où je m’initiais à de nombreuses techniques (j’ai cependant toujours regretté de ne pas avoir quelques années de plus en 1958, afin de mieux pouvoir profiter des informations présentées).

Nous y avons fait identifier nos groupes sanguins, mes parents et moi : mon père était classé A, ma mère et moi : O ; ce qui s’expliquait aisément avec des tableaux.
On nous a expliqué le moteur à réaction, les cellules "solaires" (déjà), les techniques de production des antibiotiques, …

Mais ce qui m’a le plus frappé, c’était le stand de Hoechst, ou trônait une grande extrudeuse qui, à partir de granulés de polystyrène, injectait dans des moules des rondelles de 10 cm environ avec sur une face la belle étoile symbole de l’Expo.

Elles sortaient de la machine, attachées deux par deux (par leur "paraison"), très chaudes, et on les séparait dès qu’elles étaient un peu refroidies.
Mes copains raffolaient de ces objets, les attachant à leur vélo, collectionnant ces plaquettes de diverses couleurs (blanches, ivoire, orange, bleues,…), surtout celles veinées de deux couleurs (en fait, des déchets de fabrication, lorsqu’on voulait changer de couleur !).

Et si j’ai réalisé (en 1970) mon mémoire de fin d’études d’Ingénieur Industriel chimiste sur la polymérisation du nylon 6, et si j’ai travaillé toute ma carrière dans l’industrie pétrochimique (productrice de polymères), ce n’est sans doute pas par hasard !

Et chaque fois, mes parents et leurs amis terminaient la visite en fin d’après midi autour d’un verre au bar du pavillon Germinal ; on commençait la visite au Vatican, on la terminait chez les socialistes, curieux cheminement politique !

Ensuite chacun allait reprendre sa voiture et nous rentrions à la maison, après avoir pris rendez-vous avec nos amis, les Lebegge, pour l’excursion du lendemain dimanche, pour y découvrir ensemble la Belgique, cette fois…

Quant au samedi suivant, pas nécessaire de prendre rendez-vous avec eux : du 17 avril au 19 octobre (sauf nos 15 jours de vacances à la côte d’Azur en juillet), nous nous retrouvions au même endroit pour d’autres découvertes : peut être le Congo belge, cette fois ?

Paul F.

3 commentaires Répondre

  • Répondre

    21 novembre 2009 à 14h53min / paul

    oui, dans le pavillon de la CECA, il y avait une reconstitution d’une mine de charbon.

  • Répondre

    2 novembre 2009 à 09h17min / Thomas — gilles.thomas paris.fr Supprimer ce message

    En 1900 à Paris, il y avait une attraction qui permettait aux visiteurs de parcourir une mine de charbon et une mine d’or, chacune reconstituée sous terre dans les anciennes carrières souterraines du Trocadéro. Est-ce qu’en 1958, c’était aussi une "maquette" de mine grandeur nature dans laquelle les visiteurs se promenaient ?Merci de cette précision.

  • Jeannine K Répondre

    je me suis demandé quel était le prix de ce fameux abonnement

    voilà ma curiosité assouvie

    nous nous sommes sans doute croisés un dimanche de 58 !

    et voici que nous nous croisons grâce à l’évoquation de cette époque .

    Magie !

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