Mai 68, énorme chahut estudiantin pris par les intellectuels de gauche pour la Lutte Finale. « L’étourderie française, moqueuse, insouciante intrépide, était montée au cerveau de tous ». Ce n’est pas un chroniqueur de 1968 qui écrit cela, c’est Chateaubriand dans ses MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE , à propos des Journées de Juillet 1830 !
Mai 68, débordements de filles et de garçons en rut printanier, de rejetons de petits bourgeois bien nourris, tandis que les Biafrais mouraient de faim par dizaines de milliers ; « un truc pour étudiants dorés sur tranche », si l’on en croit Claire Brétécher, fondatrice du sulfureux « Écho des Savanes » ; cohortes d’échappés des facultés et des lycées pour exiger la suppression de tous les interdits, la démolition de toutes les barrières en dressant des barricades et en brûlant des bagnoles ; Mai 68 qui entendit de fameuses bêtises proférées par des observateurs soi-disant intelligents ; Mai 68 qui vit JeanPaul Sartre user d’un tonneau à Billancourt, non pour y loger, comme son confrère Diogène, mais pour y monter et haranguer les ouvriers goguenards de Renault ; Mai 68 quand les journalistes d’une radio d’État indiquaient les points chauds et y rassemblaient les casseurs, l’oreille au transistor ; Mai 68 quand la France entière se croisa les bras ; Mai 68 que le Parti communiste, heureusement sans instructions de Moscou, ne sut exploiter car Mao avait éclipsé un Staline démonétisé, Mai 68 a bouleversé les mœurs, mais n’a rien changé politiquement parlant.
En Tchécoslovaquie c’était le "Printemps de Pâques", tentative d’installation d’un pouvoir plus démocratique initié par Alexandre Dubcek. Hélas, le 20 août, les forces du Traité de Varsovie se chargeraient de mater ce... désordre. Comme en 1938, les Alliés n’ont pas bougé. Dubcek ne fut pas exécuté, car c’était passé de mode dans les pays communistes. Redevenu simple citoyen, il connaîtra la misère avant de réapparaître brièvement sur la scène politique après la chute du mur de Berlin.
Par contre, les leaders de ce que Jean-François Revel, cet excellent observateur de la vie politique, appellera une « révolution de carnaval » et le pittoresque Alphonse Boudard, une « révolutionnette », les meneurs du Grand Chahut de Mai 68 sont aujourd’hui bien installés dans la société bourgeoise qu’ils vomissaient. Serge July sera le patron très exigeant d’une entreprise de presse créée par Sartre, puis propriété d’un grand groupe capitaliste que July mettra du temps à quitter malgré cela ; Alain Geismar voulait tout casser, « l’un des plus agités », écrit Michel Rocard, ancien premier ministre de Mitterrand, dans SI LA GAUCCHE SAVAIT ; Geismar deviendra Inspecteur Général au ministère de l’Éducation Nationale ! Le doux anarchiste Cavanna, fracassant éditorialiste du subversif « Charlie Hebdo », se demande aujourd’hui, dans son livre LES YEUX PLUS GRANDS QUE LE VENTRE, « où sont les enfants de Mai qui barraient les rues pour gueuler leur horreur de ce monde qu’ils entrevoyaient devant eux. Ils sont au Salon de l’auto, ils hésitent entre la nouvelle Citron et la nouvelle Peugeot, (...) ils savent reconnaître les crus, yeux fermés et même l’année ». Cavanna se trompe. C’est entre Mercedes et BMW (BM pour les initiés) qu’ils hésitent. Et Cohn-Bendit, le leader médiatisé du Bordel Intégral, assagi, deviendra adjoint du Bourgmestre de Hambourg, député européen tantôt du côté allemand, tantôt tête de liste en France. Il sera hué et quasi lynché par les ouvriers du Centre de Retraitement des déchets nucléaires de La Hague que ses projets menacent de fermeture. Il sera sauvé d’une pluie d’œufs pourris par les... CRS qu’il traitait de SS, trente ans plus tôt !
Heureusement, de Mai 68 nous restent les mini-jupes et les topless sur les plages…
Marub Répondre
Ce texte me met très mal à l’aise et est bien une provocation ! Jean N. a écrit ce pamphlet contre mai 68 mais a-t-il réellement vécu "cette révolution de carnaval", de l’intérieur ? Même si certains ont trouvé une "belle place" dans la société et se sont embourgeoisés, Mai 68 a été un chaudron plein d’idées, de contestations, d’engagements politiques et autres,... Même si certaines contestations étaient discutables, mai 68 a été le manifeste d’une jeunesse qui avait une utopie et qui était prête à se battre pour des idées politiques et contre certaines valeurs très conformistes .Je trouve des similitudes avec le mouvement "indignez-vous", même si je ne partage pas certains excès libertaires de mai 68.
Actuellement, la montée d’une certaine droite ou extrême-droite n’est-elle pas plus inquiétante ? Jean N. écrirait-il encore le même texte aujourd’hui ? Je préfère mai 68 au repli sur soi, au consumérisme, à la contestation primaire sans réflexion ou à l’absence d’idées et d’engagements.