Je travaille depuis quelques mois au Centre médical de consultations à la rue St-jacques à Paris. Cet endroit est situé près du quartier latin, à côté de la faculté de la Sorbonne.
C’est à trois quart d’heures à pied de chez-moi.

Ce matin au lever, j’écoute les informations à la radio. Le speaker dit qu’il y a une manifestation importante à la faculté de Nanterre , à l’extérieur de Paris. J’entends qu’on cite le nom de Daniel Conh Bendit, révolutionnaire anarchiste de gauche. La revendication est l’accès aux locaux des résidences universitaires des filles.

A l’époque beaucoup d’établissements scolaires ne sont pas mixtes.
Les filles n’ont pas le droit de porter de pantalon
Ajourd’hui je porte ma robe rose vichy pour me rendre au bureau . Il fait beau et il y a quelques mois on a fêté ma catherinette , c’est-à-dire quand une jeune fille a 25 ans et qu’elle n’est pas mariée, elle porte le chapeau de Ste Catherine.

Nous sommes le 2 mai, à la radio on commente, « la Sorbonne est en feu, le mouvement occident s’apprête à attaquer Nanterre pour rétablit l’ordre » Un meeting est organisé et annoncé par les étudiants en lettre en signe de protestation.

Cela sent mauvais me dis-je, c’est justement le chemin que je prends chaque jour pour me rendre au bureau. Je vais à pied, passe par le boulevard St Michel des gens, des étudiants sont dehors. Je reçois des tracts que je lis « le mouvement occident va attaquer Nanterre, unissons-nous, ouvriers, badauds, tous ensembles.

Je presse le pas, un autre tract tombe dans mes mains, « hors de Nanterre les ratonneurs »
Des cars de police sont stationnés. J’arrive au bureau essoufflée. Personne. La femme de ménage me dit de rentrer à la maison.

Je sors, je veux prendre le métro pour rentrer, mais les issues du métro St Michel sont fermées par le service d’ordre. Je regagne le domicile familial à pied .
Le lendemain 3 mai, je retourne de nouveau au bd St Michel. Il y a du monde, des étudiants.
Un tract stipule le soulèvement des étudiants de Nanterre.
Je retourne au bureau, il n’y a personne. De là je téléphone à ma directrice qui me dit que le centre est fermé pour le moment par sécurité.

Vers 10h, je me dirige vers la Sorbonne. Les portes sont ouvertes. Un meeting y est organisé .
Il y a des affiches, des stands, des trotskistes, des révolutionnaires de gauche, d’extrême gauche. Il y a des maoïstes et sa doctrine.
Un homme basané m’invite à la discussion. C’est un kabile d’Algérie, très beau . Il me parle de la décolonisation, du tiers-monde qui n’a rien. Je l’écoute intéressée.
Je m’installe avec lui et d’autres étudiants dans un café de la ,rive gauche. Nous discutons.
Moi je ne fais pas partie de leur monde, de leurs rêves , je travaille, mais cela m’intéresse, et je participe à la conversation. Après je profite de mon temps libre et vais assister au meeting à la Sorbonne.
C’est le première fois de ma vie que je m’assois dans l’auditoire de la faculté de Lettres. C’est bondé à craquer.
Plusieurs orateurs se succèdent. Mes oreilles et mes yeux sont grands ouverts.
C’est une nouvelle révolution, différente des communards et de Robespierre.
Daniel Cohn Bendit harangue le public. « que la Sorbonne devienne un nouveau Nanterre » dit-il.
Fin d’après-midi, je sors, un peu saoule, la tête remplie , le cœur ému.
Les cars de police commencent à quadriller le quartier.
Je sens que quelque chose de grave va se passer dans les heures qui suivent.
Je rentre rapidement chez-moi. Mes parents sont inquiets, ils ont entendu les informations, ils me demandent de ne pas ressortir le soir.

Le 6 mai, la police s’apprête à rentrer à la Sorbonne, elle a bloqué les entrées et sorties du bâtiment. Déjà,il y a des affrontements violents vers 12h. La rue de la Sorbonne est évacuée , quelques 400 étudiants sont embarqués dans les paniers à salade de la police.
Fin de soirée j’apprends que les manifestants sont regroupés au bd st Michel.
Des grenades lacrymogènes sont lancées par la gendarmerie.
Des manifestants descellent des pavés, les lancent, se barricadent. Des passants , des clients de café, des touristes, des commerçants prêtent main forte aux étudiants.
C’est une explosion de violence, j’écoute la radio qui décrit et commente le déroulement de l’émeute.
Il est 20 h.. Le speaker lance : « les premières barricades ont lieu à l’aide de grilles, d’arbres et de panneaux publicitaires.
Fin de soirée, tout est calme, la gauche demande aux ouvriers de les soutenir dans leur action.

Le lendemain, 7 mai , je retourne au bureau, il n’y a pas de métro, je respire les odeurs de gaz lacrymogène ; mes yeux piquent et pleurent.
Je fais du stop. Une voiture s’arrête, c’est un marchand de fromages. Je vous dépose où me demande-t-il ? Je dis, au bd st Michel, c’est sur votre route ? Oui me répond-il, mais attention, ne vous asseyez pas sur mes camemberts, je dois les livrer bientôt. Prudemment je m’assois.
C’est spécial, ces odeurs mélangées de gaz lacrymogène et de camembert. Je finis pas ne plus rien sentir. Il me dépose gentiment près du Centre. Je le remercie.

J’arrive au bureau, mon chef est là. Il est grand aux cheveux blancs. Je trouve qu’il a mauvaise mine. Ses traits sont tirés et son dos voûté.

"Savez-vous, Eva, que mes 2 fils de 17 et 18 ans étaient sur les barricades cette nuit avec les autres manifestants et que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Heureusement , ils ne sont pas blessés. Mais, j’ai dû aller les chercher au poste de police. Quelques amis étudiants étaient blessés et ont dû trouver refuge chez des gens qui leur ont ouvert la porte et les ont soignés.
Vous-vous rendez compte ils ont lancé des pavés sur la police. Il y en a qui sont montés sur les toits des maisons pour leur échapper. "

Je l’écoute consternée.

Jusqu’à mi –mai des grèves se succèdent avec des occupations d’usines.
Les revendications fusent : augmentation de salaires, meilleures conditions de travail, plus d’autonomie, responsabilité des travailleurs, participations aux bénéfices.

J’entends que le général de Gaulle demande un référendum. Après être parti en Allemagne pendant les évènements.
Il promet de partir si les français disent non. Pompidou est alors premier ministre. Le non l’emporte.
A partir de là, on entre dans l’ouverture au dialogue social, la remise en cause du modèle occidental de la société de consommation.
Le mouvement MLF. La liberté sexuelle, la remise en cause de l’autorité, la réforme de l’enseignement. La pédagogie scolaire. Les nouveaux philosophes. La dénonciation des régimes communistes réformistes. La participation des parents et des élèves aux conseils de classe. Les prêtres ouvriers, le mariage des prêtres. Etc.

La même année, je fis connaissance à Bruxelles de Gaston qui allait devenir mon futur mari.
Je pris rendez-vous chez le gynécologue décidée à prendre la pilule qui apparaissait seulement sur le marché, c’était son début.
Le médecin un homme de 40 ans me demanda : « Quand avez-vous perdu votre petite fleur jeune fille ? Je ne compris pas, puis étonnée je lui réponds :
Que ma petite fleur est toujours là .
Il semble surpris, j’avais 25 ans et pour l’époque c’était déjà être une vieille fille.
Bon il est temps de vous marier me dit-il.
Il m’inscrivit une ordonnance pour acheter la pilule.
Mai 68 n’avait pas changé certaines mentalités.
Je ne voulais pas arriver vierge au mariage. Je pris donc 3 mois avant, la pilule pour convoler avec Gaston. Ce n’était pas dans la tradition juive, mais la cérémonie traditionnelle du mariage se fit au mois de mai.
Une révolution culturelle ne se fait pas en quelques jours, elle doit mûrir lentement dans les mœurs et l’esprit des gens pour un vrai changement de société.

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