Je m’étonne chaque jour, ou plutôt je m’étonnais encore en 2006, d’avoir 85 ans. L’année passée, je faisais encore 1 km de crawl quotidiennement de mai à octobre dans la piscine privée de mon immeuble à La Napoule. J’étais le doyen du Conseil Syndical de la copropriété de quatre cents appartements dans un parc toujours fleuri prolongé par un merveilleux panorama. J’avais pourtant déjà la charge complète du ménage car la santé de ma femme et diverses fractures l’ont brusquement condamnée au fauteuil, en 2005. Pour cette raison, depuis octobre 2006, nous nous sommes réfugiés dans notre pays retrouvé mais déchiré ! Je n’ai aucun handicap : pas d’arthrose, pas de douleurs d’aucune sorte, sauf si je marche plus de trois cents mètres sans l’aide d’une canne. Celle-ci constitue d’ailleurs un atout : à leur vue, des jeunes, (plus souvent filles) me cèdent leur place dans les transports publics. Ce n’était pas ce qui faisait se croiser nos regards jadis.
Dans ce qu’on appelle par euphémisme « Maison de repos et de soins », même si nous vivons et mangeons dans notre appartement de 55 m2, au milieu des quelques meubles que nous avons gardés et de nos tableaux, nous sommes entourés de personnes dans un état pire que la mort qui les délivrerait. J’hésite à sortir à certaines heures car je dois passer entre deux haies de fauteuils roulants ! Cela me convainc de ce qui m’attend probablement et surtout ce que risque ma femme à brève échéance. J’assiste à la dégradation physique lente mais inéluctable de celle qui m’a donné 65 ans de bonheur. Ma sour a eu la chance de mourir subitement à 75 ans, en pleine santé. Sa fille nous est d’un grand secours.
Ma femme reste bloquée dans son fauteuil, refusant toute activité, lecture, mots-croisés. Atteinte d’une maladie dégénérative voisine de Parkinson, elle a fait plusieurs chutes et hier encore, cette fois à cause du manque de prévenance du personnel soignant ! Je vis dans l’angoisse de la prochaine.
Il lui arrive de s’étonner que je n’aie plus l’humeur joyeuse qu’elle m’a toujours connue ! J’étais - je fus - viscéralement optimiste.
Mes journées sont entièrement calquées sur les siennes du lever au coucher. Les heures qu’elle m’impose ne me conviennent pas du tout. Mes résolutions de marcher chaque jour une heure sont tombées à l’eau (de la pluie belge) et en présence d’un environnement immédiat, certes assez vert, mais qui n’est que collines, rues en pente raide ou trottoirs casse-pipe. Même par beau temps, je renonce souvent à une demi-heure, voire vingt minutes de sortie.
Je suis toujours capable de nager mille mètres sans m’arrêter, comme je l’ai tenté deux fois à la piscine Longchamp. Mais le déplacement que cela impose me décourage de persévérer. Je ressens une grande et insurmontable lassitude car mes activités de garde-malade permanent sont épuisantes.
Une seule chose me sauve du désespoir intégral : mon ordinateur et l’Internet lorsque je peux y consacrer une demi-heure sans être interrompu. Ils comblent mon goût increvable pour l’écriture, permettent mes coups de gueule, apaisent ma soif de nouvelles connaissances, rendent possibles des contacts originaux. Et là, je ne saurais jamais assez vous remercier de m’avoir fait découvrir Magusine !
J’ai voulu aussi garder une activité sociale en me joignant au groupe de lecture de l’APA. J’y ai rencontré un nouvel ami dévoué : Louis Van
Nieuwenborgh. Il me conduit aux réunions. Je lis des manuscrits et rédige des Échos de lecture. J’écris aussi le dernier chapitre de mes dernières années de bonheur ; ce sont les seuls moments où je vis réellement, car ce sont les meilleurs anxiolytiques.
Souris verte Répondre
4 octobre 2009 à 18h52min / boutahar bilal IDU
Bonjour Monsieur Nicaise, J’ai aimé partager votre histoire. Toutes mes condoléances pour votre femme. Vous devriez changer vos idées et faire plus d’activités et moins vous focaliser sur votre ordinateur. J’ai été sensible à ce que vous avez écrit sur vos sentimens, sans être toujours d’accord avec votre façon de voir la vie, même si je le respecte tout à fait. Bien à vous Monsieur Jean Nicaise.