Je suis né au bord de la Meuse, j’y ai passé mon enfance et c’est dans sa vallée que je retrouve l’air et l’espace qui me manquent à Bruxelles. Mes parents étaient d’authentiques Wallons. Ce préambule pour dire que le néerlandais n’est pas entré en moi avec le lait de ma maman.

Dans la belle ville de province où j’ai grandi, les problèmes linguistico-communautaires que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas, du moins à mes yeux d’enfant de cette époque. Et pourtant ! Quand on parlait des gens du nord, on disait : « Les flamins des gates ».
On y ajoutait : « Les flamins, c’n’èst nin des djins ». Parfois le mot était synonyme de maladroit, de gaffeur, d’excessif et le personnage visé s’entendait rabrouer par un : « Tais-se tu, flamin ».
La raison de cet ostracisme n’est pas évidente. Je reste persuadé que les gens qui adoptaient un tel vocabulaire n’étaient pas racistes comme on l’entend aujourd’hui. Les Flamands avec lesquels ils étaient en contact étaient pour la plupart des gens très simples, un peu rustauds, se débrouillant courageusement mais péniblement en français. Ils avaient émigré pour trouver du travail et ceux que nous avons fréquentés les premiers étaient jardinier et femme d’ouvrage. Le niveau bourgeois de cette cité mosane y était sans doute pour quelque chose. Cette société n’avait pas appris à respecter les différences. Ce qui n’empêcha pas un cousin de la génération de mes parents, né dans un village de la vallée, de devenir marin et d’épouser...une Anversoise bon teint parfaite bilingue et appréciée de tous. Cette branche de la famille est évidemment devenue flamande.

A l’école primaire par contre, je revois une scène pénible où un « petit Flamand » s’est vu isolé contre le mur du préau et s’est fait hué parce qu’il ne parlait pas français ! L’intervention des instituteurs fut rapide, mais le mal avait été fait. Pourquoi les enfants sont-ils parfois si cruels ? En classe, j’ai appris les rudiments, comme on dit. Je connaissais boom, potlood, bank, inkpot, klas, bord...toute la panoplie qu’un futur bon petit Belge doit connaître.
Les instituteurs qui donnaient ce cours étaient aussi wallons que moi et leur prononciation
Ne m’a bien sûr jamais dérangé ! Le comble était que tout en apprenant le flamand en classe, il nous était interdit de causer le wallon entre nous !

Au secondaire, changement de décor : les professeurs de néerlandais étaient flamands et l’un d’entre eux était même flamingant, un abbé éloigné de son diocèse pour excès de zèle linguistique. Aucun de ces germanistes n’est parvenu à me faire aimer sa moedertaal. Une fois arrivé à Bruxelles le pauvre petit provincial à l’accent traînard que j’étais est tombé ahuri devant le sort réservé dans la capitale à ces profs de langues. J’en revois un tout particulièrement, à deux doigts de pleurer, jeter son cartable sur le pupitre en nous lançant : « Ik ben moe van U ! ». Il ne m’a rien appris pas plus que son collègue de rhétorique qui m’a harcelé avec les « verbes séparables » et enseigné la conversation néerlandaise à travers la « Nederlandse letterkunde », la récitation de poèmes de Guido Gezelle ou les scènes de « Adam in ballingschap ». Voilà comment je ne suis pas devenu bilingue.

A l’époque des amours, j’ai eu un « boentje » pour une jeune institutrice, blonde aux yeux bleus, d’origine flamande évidemment, et comme je ne suis pas trop raciste, je l’ai épousée. Ensemble, nous avons fait quatre petits zinnekes. Dès ce moment, je suis entré de plain pied dans une famille dont la plupart des membres utilisaient un patois qui n’avait rien de l’ABN, et j’ai ainsi appris à me débrouiller dans la langue de Vondel. A l’heure de l’apprentissage du néerlandais par nos enfants, ils préféraient mon accent à celui de leur maman ! Allez savoir pourquoi !
Aujourd’hui, n’ayant jamais eu besoin du néerlandais au niveau professionnel, je ne suis toujours pas bilingue,ik trek mijn plan et ça me suffit. Mauvaise foi, diront certains. Mais doit-on apprendre une langue par civisme ?
Racisme ? Lorsque j’analyse le sang de mes petits-enfants, j’y détecte des globules wallons, français, flamands, hollandais et même indiens. Mais ils apprennent le néerlandais à l’école

En tout état de cause, je remercie ma maman d’avoir versé la langue française dans mes biberons.

1 commentaire Répondre

  • Jacqueline B. Répondre

    Merci, Jacques, pour ce récit vécu ! Effectivement, vous le décrivez bien : le racisme inconscient des Wallons pour parler des Flamands est plutôt lié à des préjugés de classes sociales. Ma grand mère liégeoise, épouse de Bâtonnier, proclamait, à ma grande rage :" Tu as beau dire ! C’est la langue des ouvriers et des servantes !"

    Comment s’étonner alors, qu’après ces années d’humiliations, les Néerlandophones ressentent un désir de revanche ?

    Moi aussi, quand je suis à la mer, je commence toujours à parler flamand par courtoisie. Bien souvent, mon manque de vocabulaire me fait rire et bien vite, les commerçants m’aident en me soufflant le mot juste.

    Avec un peu de bonne volonté et d’humilité, nous pouvons vivre heureux ensemble. Merci pour votre texte. Jacqueline.

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