Je suis né à Baelen sur/Vesdre en 1937, notre habitation était située à 1500 mètres de l’ancienne frontière allemande soit près d’Eupen.
Au traité de Versailles en 1919, soixante mille Allemands de la région Eupen St Vith.... étaient annexés à la Belgique. Baelen était cependant en territoire belge depuis 1830. Une grande partie de la population parlait un patois germanique en usage à Aachen, Cologne, Maestricht et Tongres.
Entre les deux guerres, nos parents avaient été instruits dans les deux langues. Ils ont été depuis le début de leur scolarité de parfaits bilingues. Le 10 mai 1940, les Allemands ont repris la partie de territoire qui leur avait été enlevée en 1919. Vu notre régime linguistique, ils ont débordé sur leur ancien territoire et nous ont cette fois annexés. Un douzaine de villages ayant toujours été belges, sont devenus "territoire allemand." Il s’agit de Baelen, Membach, Welkenraedt,Henri-Chapelle, Hombourg, Montzen, Moresnet, Siepennaken, Rémersdael,Teuven, les Fourons et La Calamine ; ce dernier village avait encore une histoire plus compliquée ayant été précédemment territoire neutre.
Notre début de scolarité s’est donc passé en langue germanique. Dès la libération et notre retour en Belgique, le régime francophone a bien entendu été d’application. Mon enfance a été vécue à proximité des grands-parents.Deux étaient originaires du Limbourg hollandais, un d’Aachen et une des cantons allemands, nos parents nous avaient uniquement parlé en patois régional.
En 1945, il était évidemment peu recommandable d’être assimilé au peuple allemand. Le commerce eupenois étant peu achalendé et, pour raison linguistique plutôt évité. Nous allions donc pour des achats de vêtements à Verviers. Dès le passage du tram à Dolhain-Limbourg situé à quatre kilomètres de notre village, notre mère nous invitait au silence. Il était impératif de ne pas être identifié "allemand."
Pendant cette journée en ville, la gestuelle remplaçait la parole.
Au début de notre scolarité francophone, l’instituteur du village devait nous punir lorsque nous nous exprimions autrement qu’en français. C’est ainsi que la cour de récréation ne résonnait pas de cris d’enfants mais ressemblait plus à un endroit mortuaire.
L’apprentissage d’une langue est toutefois très rapide chez des enfants de moins de dix ans, ils sont moins inhibés que les adultes. Lorsque nous étions à proximité de l’enseignant nos dialogues se référaient à la langue de Molière, bien entendu à cent mètres de l’école nous redevenions par facilité et habitude des patoisants.