A la recherche d’une philosophie ...
J’avais 83 ans lorsque j’ai perdu mon épouse.
Anéanti, groggy, ces termes peuvent à peine exprimer mes sentiments. Vous êtes seul devant la peine à vous demander ce qui vous arrive, tous vos repères sont envolés.
Le silence dans l’appartement, un silence fait de vide et de non présence, est insupportable. Oui, à l’inéluctable on ne peut s’opposer. Il n’empêche que le silence est là et fait mal, très mal.
Je me retrouve en questionnement sur le sens de la vie au seuil du grand âge.
Et les réponses ne viennent pas facilement car c’est un peu la « terra incognita ».
Certes, il existe des études sur le grand âge et ses problèmes mais peu de témoignages directs sur la façon dont les grands aînés donnent un sens à leur vie. Peut être convient-il de chercher ses propres solutions ?
Voici mon cheminement.
Les démographes nous le promettent , même si d’aucuns d’entre nous nous quittent en cours de chemin, la vie s’allongera de plus en plus.
Le corps médical, pour sa part, nous décrit le vieillissement par une diminution du métabolisme général, des fonctions digestives, de la tonicité musculaire et encore d’autres bonnes choses comme une rigidité de certains tissus musculaires et des articulations, et aussi dans la foulée, une diminution des fonctions cérébrales nerveuses.
Une vie plus longue, peut être ? Oui mais comment ?
La frontière n’est pas nette, la vie se transforme parfois brutalement, parfois par un processus insidieux. C’est ainsi qu’un jour on s’aperçoit que les longues marches deviennent plus fatigantes, que l’envie de faire de longs trajets en voiture s’estompe, que des douleurs articulaires apparaissent, que la disparition de proches raréfie les opportunités d’engagement. Et on se pose des questions quant à son devenir...
Lorsque ces phénomènes de vieillissement surgissent, ils vont parfois - et cela va dépendre des ressources internes de l’individu et des opportunités d’engagement, du soutien familial aussi - agir comme déclencheurs pour mettre en action un processus de d’adaptation interne.
Certains engagements antérieurs vont être abandonnés devenus trop fatigants pour être remplacés par des activités plus économes des ressources et des forces.
Il faut aussi faire face à des événements traumatisants.
On n’a pas pendant plus de 50 ans intégré la vie de couple dans sa personnalité pour ne pas lorsque ce couple est détruit subir une profonde crise identitaire. C’est une part de soi-même qui disparaît. Il faut alors mobiliser toutes ses ressources internes pour essayer de se reconstruire en établissant une nouvelle cohérence du soi dans la continuité et un nouveau rapport au monde en l’investissant de nouvelles significations.
Pour mieux le vivre il faut essayer de comprendre ce qu’est le vieillissement.
Je ne peux m’empêcher de citer cette phrase de M.Tubiana (un éminent cancérologue octogénaire) dans son livre « Le bien vieillir » : « Au moment où on avance en âge, au moment où - en raison du changement rapide de son organisme, des altérations brutales de son environnement familial et professionnel causés par les deuils et les infirmités qui frappent ses proches - le besoin d’une capacité d’adaptation est maximum, psychiquement, ,au contraire, toute modification de sa façon de vivre suscite l’appréhension. Bien vieillir, c’est apprendre à surmonter celle-ci, ,donc développer, ou maintenir une confiance en soi . »
S’adapter en remplaçant les activités trop exigeantes ou apparaissant trop risquées, par d’autres qui demandent moins d’efforts. Apprendre à vieillir c’est s’accoutumer à ne pas trop demander à son corps. Mais c’est aussi surtout apprendre à reformuler son identité tout en conservant l’essentiel : trouver de nouvelles curiosités, de nouveaux liens, de nouveaux défis aussi et éviter que l’ennui envahissant le quotidien ne mène au repli sur soi, au laisser aller. Car le vide conduit à l’angoisse et l’angoisse à la finitude
...et de son application
La perte de mon épouse et une opération de la hanche nécessitant plusieurs mois de rééducation furent les déclencheurs qui me conduisirent à modifier mon schéma de vie ; désormais il fallait compter avec la solitude et une mobilité réduite. Non seulement je vivais seul mais le cercle d’amis était aussi disparu ; c’était en quelque sorte une solitude générationnelle où il n’est plus possible de partager des souvenirs de jeunesse. Heureusement il reste encore des relations familiales. Mais pour atténuer le poids du vivre seul, il faut aussi s’efforcer de recréer des contacts sociaux et rester actif.
C’était le moment de devenir un membre plus actif d’Ages & Transmissions, puisqu’un des buts de cette association était notamment de proposer des groupes de réflexions sur l’engagement des aînés dans la société. Il m’a semblé qu’il y avait là une opportunité à saisir et j’ai donc fait partie d’un groupe. Je me dois de dire que la qualité des échanges m’a agréablement surpris car si les discussions étaient, par moment, vives, elles étaient toujours fructueuses et stimulantes. Je retrouvais là des contacts sociaux qui me manquaient. Cette stimulation me conduisit aussi à vouloir approfondir les questions relatives à la connaissance du vieillissement et du bien vieillir ce que je fis et fais encore sur internet.
En dehors des tâches journalières, je ne pouvais cependant pas rester « scotché » devant mon ordinateur toute la journée, si valorisante, parait -il , que soit cette activité comme méthode de prévention du vieillissement pathologique du cerveau. Il fallait aussi, et c’était primordial, faire au moins une demi-heure de marche journellement ne fusse que pour conserver un tonus musculaire suffisant dans les jambes. Heureusement j’habitais à quelques encablures du parc de la Woluwe qui non seulement s’étendait sur de nombreux hectares mais possédait de nombreux bancs. Toute l’astuce se résumait à choisir en fonction de l’ensoleillement des parcours à l’ombre ou au soleil combinés avec un nombre suffisant de bancs pour me permettre de m’asseoir après chaque quart d’heure de marche. Oui, mais quand il pleut ?
Je détournai la difficulté en me procurant un « trekker » ce genre d’appareil que l’on trouve dans les salles de fitness et qui permet de reproduire les mouvements de la marche. Désormais, par tous temps, mon footing était assuré.
Si physiquement refaire les mêmes parcours journellement devaient satisfaire mon cœur et autres muscles, mentalement je commençai à trouver cette répétition plutôt ennuyeuse. C’est alors que je décidai d’agrémenter ces trajets en prenant des photos numériques des endroits parcourus dans les différentes saisons. En les transposant sur ordinateur, je constituai un panorama que j’insérai dans l’arrière plan de l’écran, ainsi apparaissaient à ma demande les couleurs de l’été, le chatoiement de l’automne, la nudité de l’hiver, les pastels du printemps. En y ajoutant un peu de créativité, en modifiant les formes et la palette des couleurs, je pouvais aussi créer un monde de nouvelles images pour le plaisir des yeux et pour le plaisir tout simplement.
Il suffit de se reporter une décennie en arrière pour voir combien, tout en conservant ma personnalité, ma vie s’est transformée et combien il ma fallu m’adapter à de nouveaux objectifs qui correspondaient à mon emplacement dans la trajectoire des âges.
Framboisepenchée Répondre
Bravo, Jean pour ce témoignage, cette force, ce discernement des évènements.La vie est une drôle d’aventure,mais Goethe a dit :" L’homme est un lutteur", alors nous luttons avec nos moyens,pour rester debout !J’ai, moi aussi perdu ma tendre moitié,(un mari attensionné), après 43ans de mariage très heureux,je n’avais que 65 ans !Toutes les misères du monde me sont tombées dessus,cancer,infar incompréhension de mes enfants...mais je suis toujours debout et je lutte depuis des années.Chaque être a son histoire...
Merci, d’avoir partagé la tienne.