Les vacances de Pâques 1944 se terminent.
La nouvelle tombe. Les écoles ferment leurs portes. Pas de rentrée scolaire avant ...,
avant quand ? Et si on s’éloignait de la ville ? Mais où aller ?
Le Burnot est un petit affluent de la Meuse qui se jette dans le fleuve à hauteur de Rivière, aujourd’hui commune de Profondeville. Le lieu-dit « Burnot » est constitué de deux rangées de maisons, pour la plupart non contiguës, qui s’étirent sur un bon kilomètre le long du ruisseau à l’extrémité d’une petite vallée.
C’est là que nous avons débarqué fin avril ou début mai 1944.Ce petit coin de la province de Namur fut pour moi une véritable découverte de la vie à la campagne, de la liberté en plein air, de l’espace. Sans doute les trois ou quatre plus beaux mois de ma vie de gamin.
Le premier soir, à peine arrivé, je posai la question qui me hantait : « Y a-t-il aussi des sirènes, ici ? » Heureusement non. Seules les villes jouissaient de ce privilège.Dès le lendemain matin, je partageai la vie de Gilbert et de Marie-Madeleine D. appelée aussi Mimie ou Badelle par les plus petits.
C’était un été radieux, nous étions dehors quasiment toute la journée. Derrière le corps de logis s’étendait un long jardin bordé d’un étang alimenté par l’eau du Burnot. A l’entrée, un grand potager, sur le côté, une remise surmontée d’un fenil dans laquelle la tante Emilie élevait des lapins. Je n’en avais jamais vu ni touché d’aussi près. Au milieu, dans une petite mare carrée, quelques canards barbotaient, régulièrement dérangés par des rats. Les jours de chance, les canes faisaient don de quelques œufs. Tout au fond, une savane, un terrain d’aventures...L’accès au jardin se faisait par un petit pont au dessus d’un barrage écluse qui permettait à l’étang de déverser son trop-plein dans le ruisseau .Il fallut s’habituer au bruit de cette cascade modeste mais permanente. Il nous arrivait d’aller jouer dans l’eau, au pied de cette chute pour y débusquer de dessous les pierres de vilains poissons plats et gluants appelés « chabots ». Ce nous, c’était Gilbert et moi, bien sûr, mais également « ceux de la route », c’est-à-dire mon cousin germain Pol M. et ses cousins André et Michel B. qui à cette époque résidaient à Rivière-même chez leurs grands-parents, en attendant avec leurs mamans le retour des papas prisonniers.
La journée commençait souvent par la quête du lait. Munis chacun d’une cruche cylindrique à couvercle en émaillé, nous entamions le chemin escarpé qui menait à la ferme du hameau de Bois- Laiterie par un raccourci. A flanc de côteaunous empruntions une sente à peine tracée pour déboucher là-haut dans le jardin d’Adèle Marchal chez qui nous faisions une courte halte. Puis nous repartions vers la ferme tenue par Fernand et Delphine Graindorge et leur fils Jean qui vu son apparence ne devait pas souffrir de sous-alimentation. Delphine remplissait nos cruches et nous dévalions - prudemment - vers la vallée du Burnot. Ce furent mes premières escapades loin du regard surprotecteur de Maman. Et ce n’est pas sans émotion que je refais, aujourd’hui en voiture, une partie de ce trajet qui aboutit au point de vue des 7 Meuses.
Autre distraction : une excursion dans l’usine au repos. Les deux énormes macas, même immobiles, me faisaient grosse impression. De temps en temps, un ouvrier venait faire tourner les machines pendant quelques minutes pour qu’elles ne s’ankylosent pas, sans doute. Quel boucan lorsque ces énormes marteaux retombaient brutalement et en cadence sur une sorte d’enclume surélevée, arrimée à un large socle de bois, lui-même profondément fiché dans le sol. Parfois Monsieur D. nous emmenait avec lui dans le bureau, faire un petit tour du propriétaire. Et là, il prisait. D’une petite boîte en écaille de forme allongée, il retirait entre le pouce et l’index une pincée de tabac noir réduit en poudre qu’il approchait de ses narines et qu’il aspirait alors. Généreux mais facétieux, il nous proposait de « prinde one pènéye », ce que nous acceptions. C’était si âcre, si piquant que nous en avions les larmes aux yeux.
Ma petite sœur, elle, préférait jouer dans le tas de charbon qui attendait la fin de la guerre et la reprise des activités dans un grand hangar. Son plaisir était de s’y enfoncer jusqu’aux genoux. Un jour que des bombardiers alliés survolaient la vallée de la Meuse - et cela devenait de plus en plus fréquent - Maman voulut nous entraîner, comme chaque fois en pareille occasion, dans une grotte peu profonde de l’autre côté de la route. Frousse de citadin ! Mes grands-parents et moi étions prêts à traverser, mais où est la petite ? Et Maman de hurler : « Où est Monique ? Où est ma fille ? ». Une petite voix répondit « Je suis t’ici ». Et elle sortit du hangar dans l’état qu’on devine et de ce jour hérita dans la famille du surnom de Monique-ma-fille .Les passages de plus en plus fréquents de ces lourds bombardiers laissaient sur la campagne de petits souvenirs bizarres : des paquets de languettes de papier métallisé dont j’ignore toujours l’utilité. Parfois nous retrouvions sur le sol des éclats d’obus, témoins de combats aériens.
Certaines soirées, je me suis cru pêcheur. Dans le grand étang survivaient quelques belles truites que personne ne venait plus déranger. Avec un matériel de fortune, j’ai bien essayé d’en attraper l’une ou l’autre. Sans succès. Elles se régalaient de mes vers, mais refusaient de mordre à l’hameçon.
Ces vacances idylliques m’ont aussi laissé quelques souvenirs désagréables, voire dramatiques.
Pour combler ce troisième trimestre manqué, l’abbé D.,mon titulaire, bien intentionné sans aucun doute, envoyait par la poste à tous ses élèves en chômage...des devoirs de vacances. Ce n’est pas en courant les prés et les bois qu’on perfectionne ses connaissances en calcul ou en conjugaison. Maman veillait strictement à l’accomplissement de mes tâches et dès que l’épaisse enveloppe arrivait, elle m’enfermait dans une pièce où je devais souffrir, seul. Pas question d’aller vagabonder ce matin-là. Il s’agissait de renvoyer au professeur des travaux corrects pour pouvoir passer de classe. A vue d’œil ma science de la conjugaison s’était étiolée, si bien qu’un jour, à la question : « Donne-moi le passé composé du verbe mettre ? », j’ai répondu, après plusieurs secondes d’hésitation : « dja mettu ». Bravo l’artiste. Ces vacances auront au moins servi à améliorer ma pratique du wallon en ce temps-là interdite à l’école.
En juin, le débarquement avait eu lieu en Normandie. J’entends encore Gilbert bondir au milieu de la route en criant : « Cherbourg est pris ! ». Malgré l’interdiction, les radios fonctionnaient un peu partout .Le recul des Allemands avait commencé. L’espoir de jours meilleurs nous remplissait de joie, mais le plus dur restait encore à venir.
18 août 1944 ! Ce jour-là, nous devions nous rendre dans les locaux de la Croix Rouge de Namur, rue de Fer, pour déposer un colis à destination de Papa. D’habitude, l’étiquette indispensable à cet envoi arrivait avec ponctualité. Mais ce mois-là, elle avait connu un retard dû soit à la Poste, soit à l’autorité allemande qui avait bien d’autres chats à fouetter. Nous ne le saurons jamais. Toujours est-il que ce contretemps nous sauva la vie, nous n’en doutons pas. Ce 18 août 1944 restera gravé dans la mémoire des Namurois. Les avions alliés ratèrent leurs cibles - la gare et les ponts - et c’est le centre de la ville qui reçut les tonnes de bombes. On déplora pas loin de quatre cents morts rue de Fer, rue de l’Ange, place d’Armes et aux alentours. Parmi elles, un camarade d’école de l’Institut St-Louis, Jacques Michaux.
Quelques jours plus tard, les troupes américaines atteignent la vallée de la Meuse. A la tombée du jour, un cri se répand : « Ils sont là ! » C’est à ce moment que j’ai découvert ma première jeep, occupée par quatre G.I. C’était une avant-garde qui fila directement sur Bois Laiterie. La nuit s’annonçait chaude, car les Allemands battaient en retraite à quelques centaines de mètres. Dans leur fuite, il s’agissait encore pour eux d’empêcher la traversée du fleuve et de couper les ponts. Quant aux Américains, c’était la manœuvre inverse qui les préoccupait .Dès lors, nous nous attendons à des combats rapprochés, déjà annoncés par des rafales. Le soir venu, la maisonnée décide de quitter le logis à la faveur de l’obscurité. Sans bruit nous grimpons à flanc de coteau pour nous réfugier dans une petite grotte bien dissimulée où nous passons une première nuit en silence ou en prières pour certains. Le lendemain, nous quittons Burnot pour gagner, à pied, le village d’Arbre situé à plus ou moins 2 kilomètres. Des habitants nous accueillent et nous passons cette deuxième nuit de libération dans une grande pièce où nous dormons sur le sol. A notre retour à Burnot, nous apprenons que les Allemands, dans leur fuite rageuse, avaient mis le feu à trois ou quatre maisons de Rivière. Parmi elles, celle de Mr et Mme D. qui avaient eu le temps de sortir de chez eux avec leurs filles et leurs petits-fils pour atteindre vaille que vaille, à la lueur des flammes, qui à pied, qui en charrette, le hameau de Bois Laiterie et trouver refuge à la ferme. Ils ont tout perdu ce jour-là. L’orage passé, la famille sinistrée redescendit à Burnot où nous nous sommes retrouvés à quinze.
Notre séjour touchait à sa fin. Mes dernières visions de Burnot furent les plus émouvantes. Une fois les combats terminés dans les alentours immédiats, nous sommes allés découvrir ce qui s’était passé à la route. En chemin, nous croisons une colonne de gens très agités. Au centre de la meute, deux ou trois hommes, la mine défaite, encadrés par des membres de l’ « armée blanche » en salopette de jute beige armés de mitraillettes, n’en menaient pas large. La foule menaçante de badauds surexcités s’approchait de ces « rexistes, collabos, inciviques ». Les plus hardis - doit- on dire les plus courageux - leur crachaient au visage ou leur refilaient quelques gnons en pleine figure, malgré l’intervention peu convaincue de leurs gardiens. Le tout agrémenté de « salauds » et de « à mort ». Cela me fit mal au cœur.
Passer devant ce qui fut la maison D. fut un autre choc. On s’est hasardés dans les ruines encore tièdes par endroits. Plusieurs jours après le sinistre, le contenu du coffre-fort flamba lors de son ouverture du fait de l’appel d’air. Dans le garage, la carcasse calcinée de la Minerva se refroidissait sur ses pneus brûlés.
Cette visite du village libéré se termina aux abords d’un petit garage dans lequel on ne me permit pas d’entrer. S’y trouvaient allongés côte à côte sur le sol les corps de trois soldats américains tués pour notre défense au cours des heures précédentes. Je les imaginais mourant seuls, loin de leur maman, de leur femme, de leur famille. Avec « un trou rouge au côté », seuls. Mon cœur de dix ans se serra.
Aujourd’hui encore, je ne peux passer devant cette porte sans « revoir » et repenser à ces trois jeunes soldats.
Septembre était là. Il était temps de regagner Namur...et l’école !
latittin Répondre
bonjour je vous ecrit pour mon papa NOTTE MARCEL qui a lu ce texte et dis connaitre ...en fait il habitait rue bois laiterie a riviere ,il est né en 38 et vivait la a ce moment la il se rappelle de beaucoup de choses aussi ,, il a le net mais depuis tres peut de temp ...j’aurais voulu savoir ,, si vous vous rappeller de lui ,, ses parents etaient albert notte et elisabeth dubois il avait 4 frere camil gaston daniel et jean marie , ce serais gentil de me le faire savoir , je dois aussi vous mentionner qu’il a vecu a burno merci martine notte