Ce conte s’inspire d’un fait réel que j’ai vécu vers 1946, à Braine-le-Comte (note de l’auteur).
Quelques années après, Jacques devint ingénieur ... (note de la rédaction).

Cette nuit, Jaco a rêvé de belles vacances dans un pays lointain. Dans l’avion qui l’emmenait là-bas, il s’est vu invité par l’équipage à visiter le cockpit et même à piloter cet appareil impressionnant, assis dans le siège du copilote. Mais à son réveil, il doit bien constater qu’il est resté sur le plancher des vaches et que son voyage n’était qu’un rêve comme on en fait souvent à son âge.

Ce matin le soleil brille, c’est l’été. Jaco, une fois bien réveillé, s’en va faire un tour jusqu’au bout de la rue où habite sa grand mère. Il entend siffler un train, il se rapproche des voies et, la tête engagée entre deux piliers de la clôture, il regarde longuement passer les convois, trains de banlieue et grands express, dans un tintamarre assourdissant.

A plusieurs reprises, une locomotive de manœuvre passe et repasse devant lui, tantôt à vide, tantôt en tirant ou poussant quelques wagons de marchandises.
Elle les rassemble pour former un long convoi à la gare toute proche.
Mais cette fois la machine s’arrête devant Jaco dans un grand panache de vapeur blanche et le mécanicien lui adresse la parole, du haut de sa plate-forme :
‘’Bonjour petit, que fais-tu là ?’’
‘’Je suis en vacances chez ma grand-mère.’’
‘’Comment s’appelle ton grand-père ?’’
‘’Emile.’’
‘’Emile, mais je le connais bien, nous avons travaillé ensemble dans le temps !
aimerais-tu faire un tour avec nous en locomotive ?’’
D’une voix timide, Jaco s’entend répondre ‘’oui’’, l’homme se penche alors par-dessus la clôture, le soulève et le dépose sur le plancher de sa cabine.

Le chauffeur, qui se tenait derrière le mécanicien, accueille Jaco d’un large sourire.
Les deux hommes exécutent alors devant lui les manœuvres du départ. Le mécanicien actionne un curieux robinet pour débloquer les freins, cela fait pschitt sous le plancher, ensuite il déplace un grand levier en fer pour lancer la vapeur dans les cylindres, la machine s’ébranle tandis que la cheminée, là-haut devant eux, crache des jets de fumée noire en poussant de grands soupirs rageurs : tchouc, tchouc, tchouc... auxquels répondent les roues et les rails par des pagadam, pagadam, pagadam...

Jaco est très impressionné, il se tait, et les deux hommes l’observent en riant, un peu comme des mineurs sortant de leur galerie, la gueule noire de la poussière du charbon. Au ras du plancher, il y a une grande ouverture où le chauffeur jette régulièrement de grandes pelletées de ce charbon dans le feu d’enfer de la chaudière. En y repensant plus tard, Jaco sentira encore longtemps sur son visage la chaude lumière qui s’en dégage. Et en même temps, elles lui reviendront aux narines, les odeurs mélangées de la vapeur, du charbon brûlé et de l’huile chaude qui s’échappe des bielles et des engrenages en mouvement.

Ils arrivent ainsi à la gare et s’y arrêtent pour reprendre de l’eau, car la locomotive en a grand besoin pour produire cette belle vapeur blanche. Ensuite un contremaître vient faire la connaissance de Jaco pendant que des ouvriers attèlent d’autres wagons à l’arrière de la locomotive.
Un signal leur indique que la voie est enfin libre et, après avoir jeté un coup d’œil aux manomètres à l’avant de la cabine, le mécanicien se prépare à redémarrer.
Chose incroyable, il propose alors à Jaco de conduire la machine ! Il lui montre la manœuvre à effectuer et, sur la pointe des pieds, Jaco l’exécute tant bien que mal, mais cela marche ! Après un vigoureux coup de sifflet, tututuut, tuut, le tintamarre reprend de plus belle, les tchouc-tchouc et les pagadam-pagadam les accompagnent jusqu’à leur point de départ.

L’un des deux hommes dépose Jaco de l’autre côté de la clôture, ils lui font tous deux un grand geste de la main et ils repartent dans leur énorme machine, en riant de plus belle. Jaco retourne alors chez sa grand-mère pour lui raconter son aventure. Elle l’écoute attentivement, mais le gamin voit bien qu’elle ne le croit pas. Il pourrait lui montrer la paume de ses mains, noire de la poussière du charbon, mais il n’insiste pas. Cela restera dans sa mémoire comme un petit secret bien gardé, en attendant de rencontrer celui ou celle qui voudra bien le partager et vivre avec lui d’autres rêves éveillés.

2 commentaires Répondre

  • Humbert ARISI Répondre

    Bonjour,

    Est-ce le Jacques Baligant qui habitait 1385 Chaussée de Waterloo à UCCLE, ami à l’époque de Christian Sabot et de Paul Matheys ?

    Nous nous étions rencontrés à Paris, il y a bien longtemps et cela me ferait plaisir de vous revoir

    Mes coordonnées Humbert ARISI
    adresse e mail : humbert.ar wanadoo.fr

  • Répondre

    Bravo papa ! Très beau souvenir ! Isabelle

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