Quand j’étais franchement pauvre j’étais riche. Je vivais dans des cathédrales au coeur de la ville. Je voyageais beaucoup, loin et longtemps ; je lisais énormément, j’avais du temps pour parler aux gens, je prenais des petits déjeuners interminables. Enfin, quand j’étais amoureux, je flirtais plein temps. Vous me direz que j’exagère. Que j’avais une rente cachée. Pas du tout. J’étais vraiment très pauvre.
Il y a une parole de sage qui dit : "Les plus belles fleurs poussent dans la merde". C’est foutrement vrai, j’ai vérifié.
L’enfer, c’est d’être pauvre dans la solitude, l’isolement. Ajoutez la maladie et c’est épouvantable. Mais si vous êtes plutôt en bonne santé et vivez dans un réseau d’énergumènes pauvres qui pensent comme vous, vous pouvez vivre comme un nabab. Ensemble, on est inventif, créatif, intelligent, organisé et diablement efficace ! Vous pensez que je devais mener des activités illégales. Je vous répondrai qu’elles étaient infiniment moins répréhensibles que celles dont un honnête homme moyen se rend facilement coupable sur l’autoroute.
Je produisais toutes sortes de choses merveilleusement inutiles, pondait des projets qui n’aboutissaient jamais, et que peu de gens lisaient. C’était vraiment très amusant. Après tout, on me paie aujourd’hui pour écrire des choses pas moins inutiles mais infiniment plus bêtes, qui coûtent infiniment plus cher à la société et que personne ne lit non plus.
Vous me direz : mais alors pourquoi avoir quitté le Paradis ? Le bonheur est quelque chose de très relatif, pas facile à quantifier et à évaluer. Dès lors, dans le doute, c’est certain, on se dit toujours qu’on a toujours pas reçu son quota. Bref, j’ai voulu voir ce qu’il y avait à glaner dans la vie normale : se lever à 7h00 du matin, plancher sur un "Plan financier sur trois ans", flatter des apparatchiks et produire des montagnes de papier. Et bien sûr recevoir un salaire pour cela. Ce salaire représente plus de trois fois ce que j’avais quand j’étais pauvre. Mais je vis, je lis et je voyage désormais trois fois moins. Aussi le gain n’est pas clair.
Alors vous me demanderez pourquoi je ne retourne pas au Paradis ? La réponse est simple : parce que je suis lâche, je ne vois pas d’autre explication. Vivre dans le moule est très stupide mais très rassurant : si je me trompe, ma responsabilité se dilue dans une sorte de malédiction collective. Alors que vivre pauvre et heureux est une responsabilité écrasante.
L’argent.... En faut-il toujours plus ? Oui, assurément, si on veut organiser son malheur de manière convenable.
Yaël Répondre
Bon j’avoue : mon coeur balance entre les réponses.
Très spontanément, je serais plutôt du côté de Pierre... pour l’avoir également vécu (et sans parents riches, cher Fernand)... et pas dans un réseau d’amis "pauvres" aussi... d’ailleurs si j’avais eu ce fameux réseau d’amis, j’aurais certainement opté pour ce Paradis un peu plus longtemps. Mais comme le dit Fernand, la pauvreté à long terme ça mine sérieusement le moral... surtout quand on est seul (dixit Pierre). Non pas qu’on soit malheureux de ne pas avoir ce qu’a le voisin (de ça je m’en fiche) mais plutôt d’être toujours le marginalisé de l’histoire, évalué comme une potiche ordinaire qui fait un peu pitié, qui certainement "va s’en sortir" mais qui est catastrophiquement idéaliste (c’est à dire n’a pas le sens des réalités), artiste raté (c’est à dire qui a mal évalué son plan de carrière), irresponsable (qui ne comprend toujours pas qu’il faut "rentrer dans le système") ou sangsue (qui vit sur le compte des travailleurs). La pauvreté n’a pas bonne presse - sauf peut-être si on est un banlieusard révolté et qu’on crache sa rage à la g... du monde. Pourtant, comme le dit Pierre, le manque d’argent peut dans certains cas rendre inventif, poète, léger mais aussi solidaire, débrouillard ou tout simplement "heureux".
Dans certains cas... Evidemment, si on a une famille, si on veut un toit solide pour longtemps, si on cherche à s’épanouir dans la société de consommation ou plus simplement à être en sécurité, la pauvreté n’est certainement pas une position confortable : dès que les charges de le vie s’alourdissent, l’argent est indispensable.
Mais, comme le dit encore Pierre, ça ne rend pas plus heureux. Ne pas gagner sa vie, ne pas s’impliquer totalement dans le système du travail est plus épanouissant pour des individus en quête de liberté. Le prix ? Une forme de pauvreté matérielle mille fois compensée par d’autres richesses (le temps d’avoir le temps, notemment).
Mais je pense que ce modèle n’est viable que pour des individus qui vivent plus ou moins en communauté, qui n’ont pas d’autres prétentions que celle de vivre au gré du vent et que ne se sentent pas concernés par les valeurs matérialistes de notre société.
L’argent est au coeur du fonctionnement sociétale. Avoir ou ne pas avoir sont réellement des références pour la plupart des individus (il suffit devoir comment sont considérés les chômeurs).
Je ne crois que pas que l’argent fasse le bonheur, je ne crois pas que la pauvreté soit signe de malheur non plus.
Je pense que l’argent fait partie des moyens pour s’intégrer dans une société qui a défini l’argent depuis longtemps comme une "valeur" - avoir de l’argent, c’est aussi pouvoir être reconnu par ses pairs comme quelqu’un qui a "réussi", qui "est responsable", qui est donc "heureux".
Tout est question d’image de nouveau. Image qui quelques fois pousse la société à ne valoriser que certains comportements, dont celui de l’enrichissement matériel aux dépense d’autres types d’enrichissement.
Ce que je viens de dire ne vaut que pour des individus qui peuvent faire le choix entre "être pauvre" ou "être riche".
Celui qui est né dans une famille pauvre et qui à cause de sa précarité ne peut pas faire d’étude ou ne peut pas avoir accès à certains loisirs ou services, a bien sûr comme unique solution de "faire de l’argent" pour s’en sortir. La société (malgré tout son sytème d’assistance "aux démunis") ne serait donc pas conçue pour les "pauvres".... à méditer...