Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble
19.ADOLESCENCE
Inutile de dire que pendant la période au lycée, c’est-à-dire de douze à dix-huit ans j’ai énormément changé, tant au point de vue physique que mental. A quatorze ans j’avais ma taille actuelle et j’étais comme d’habitude parmi les plus grandes. Beaucoup de filles de mon âge et de ma taille, surtout celles qui avaient de la poitrine, ce qui n’était pas mon cas, avaient tendance à arrondir le dos, pour qu’on les remarque moins. Mais moi j’étais obnubilée par l’exemple de Mme Clain, qui était grande mais qui se tenait droite, arpentant la cour quand c’était son tour de surveillance, sans rien porter puisque dès son arrivée une élève venait s’occuper de son sac, sans jamais mettre les mains dans ses poches, passant et repassant avec une grâce et une dignité simple qui pour moi était le comble du chic. Je ne l’ai jamais oubliée, même quand c’était difficile à assumer d’être grande, comme le jour où un garçon a dit derrière moi, sur le chemin du retour de l’école “Oh, une girafe avec une queue de cheval !”
Au début de ces années, j’ai bien sûr eu mes premières règles. Ma soeur et moi n’avions aucune idée de ce dont il s’agissait. Nous avions découvert un jour à la cave un seau rempli de linges ensanglantés qui nous avait fichu la trouille. Lorsqu’un jour je me suis retrouvée dans mon lit le matin avec du sang sur les draps et ma chemise de nuit, je me suis demandée ce qui m’arrivait. Ma mère m’a dit sans plus : “maintenant tu es une jeune fille !”. Ca a été ma seule éducation sexuelle, j’ai dû me débrouiller en entendant les copines, en essayant de trouver des mots dans le dictionnaire, mais je peux dire que c’était loin d’être clair ! Ma mère, elle, s’est mise aussitôt à me confectionner des bandes hygiéniques, plusieurs épaisseurs de vieux draps piquées ensemble, munies à chaque bout d’un triangle de tissu percé d’un boutonnière. Ces bandes s’attachaient à une ceinture munie de deux boutons. Nous n’en avions pas des flopées, donc nous les gardions jusqu’à ce qu’elles soient saturées et raides de sang. A ce moment elles rejoignaient le fameux seau à la cave et attendaient la lessive. Ces règles étaient une horreur, nous avions toujours peur d’une tache révélatrice (avant la date, et nous n’avions pas de bande, ou bien quand les règles étaient trop abondantes et les bandes ne tenaient pas le coup). C’était un cauchemar. Ce cauchemar a atteint son paroxysme lorsque pendant les premières années de mon mariage j’habitais un appartement au Centre Rogier. Quelqu’un (ou plutôt quelqu’une) avait jeté une bande (qui a l’époque n’était plus en tissu mais en ouate synthétique) dans les W.C. Je n’ai jamais su qui mais ce n’était pas moi. Bien entendu le W.C. n’a plus fonctionné et l’eau s’est mise à en sortir et à inonder l’appartement. Il y en avait partout. Le temps de trouver un plombier et que celui-ci en ressorte triomphalement la bande hygiénique coupable (et la coupable visiblement ne faisait aucun doute à ses yeux !) je pense que j’avais épongé le contenu d’un bassin de natation. Eperdue de fatigue, je vidai mon seau dans le W.C. avec la loque. Tête du plombier quand il a dû revenir !
Je suis passée bien sûr par tous les états d’âme, toutes les humeurs noires, les coups de cafard, le grand amour éperdu pour une vedette de cinéma, le sentiment d’être seule et unique à être aussi malheureuse, propres à tous les adolescents. Les choses ne se sont pas passées facilement parce que mes parents, outre le fait qu’ils étaient plus vieux que la moyenne (ma mère a dû avoir sa ménopause au même moment que moi mes premières règles), étaient aussi “vieux” mentalement. Rien de ce qui nous faisait rêver ne les intéressaient, pour eux ce qui était bien était passé. Pour nous tout ce qui se passait en France (St Germain des Prés, Sartre, Simone de Beauvoir, Camus) et ce que nous connaissions des Etats-Unis (le jazz et le blues, les films qui nous montraient des vedettes vivant dans un univers en couleurs, dans de belles maisons claires avec des “Frigidaires” et des machines à laver), toutes les histoires excitantes que nous lisions dans “Ciné-Revue” et Cinémonde, et même les bandes dessinées de Tintin et Spirou, composait un autre univers auprès duquel celui centré dans la cuisine de la rue du Croissant était bien minable.
Il a fallu que je me batte pied à pied pour être habillée à peu près comme tout le monde et je n’y suis jamais réellement arrivée. Ma mère avait non seulement des problèmes financiers mais aussi des idées bien arrêtées. Quand j’ai enfin obtenu de ne plus mettre de chaussettes mais des bas nylon comme les autres, ils étaient en nylon mousse, bien solide et bien bobonne. J’ai tellement emmerdé mon monde que j’ai fini par obtenir des bas comme les autres. J’ai aussi obtenu de pouvoir mettre du rouge à lèvres (rose pâle) et de porter des ballerines pieds nus, comme Brigitte Bardot. Il a fallu aussi persuader les parents que sentir la transpiration était peut être naturel mais pas très bien ressenti par les autres. Nous avons eu droit finalement à notre flacon à bille de “Mum”. Je me souviens avoir passé mes dernières années de lycée à rêver d’un Duffel-coat, tout le monde en avait un. Mais je ne l’ai pas eu. J’ai eu un bête manteau beige, avec un col tailleur , j’avais l’air malin !
Je me trouvais très laide, le cheveu rare et gras et le teint brouillé d’acné (il n’était pas question de produits spécifiques et le fait de tripoter constamment points noirs et boutons n’arrangeait pas les choses - j’ai d’ailleurs encore au front deux cicatrices qui viennent de boutons dont j’avais enlevé la croûte trente-six mille fois). Curieusement je n’avais pas l’obsession du poids qu’ont les jeunes filles actuellement. Et pourtant j’étais trop grosse, je pesais 66 kg à 18 ans, et le fait de manger des nourritures riches et des bonbons sans faire aucun sport n’arrangeait pas les choses. Mon plus gros problème était cependant mon nez. Je le trouvais affreux et je passais des heures à essayer de le voir de profil, assise parallèlement au miroir de la garde-robe de ma chambre. Ca posait un problème, parce que d’abord j’étais plutôt myope et qu’ensuite pour voir il fallait quand même que je tourne légèrement la tête et du coup je ne me voyais pas vraiment de profil.
J’étais malheureuse aussi parce qu’il n’y avait pas aucun endroit dans cette maison qui soit à moi. Je partageais toujours avec ma soeur le mobilier de ma grand’mère, que je trouvais hideux (et il l’était !). Seule la commode avait été remplacée par la table de la machine à écrire mais nous dormions toujours dans le même lit et partagions la même garde-robe. J’étais une obsédée de l’ordre (je mettais même de l’ordre dans le cartable de Liliane !) et ma soeur s’en fichait complètement. Je retrouvais des bas dépareillés et pleins de “flèches” (dans ce temps-là les bas se remaillaient, c’était fait patiemment par des dames qui remontaient les mailles une à une avec un crochet extrêmement fin et même à l’époque c’était cher - tellement cher qu’à la fin il valait mieux acheter une nouvelle paire de bas et jeter celle trouée, et le métier a disparu). Elle mettait mes jupes sans me le demander et comme elle était plus petite que moi, elle les retournait à la taille pour que l’ourlet soit à la bonne longueur. Je retrouvais ma jupe toute chiffonnée et je bouillais de rage.
En fait cette chambre était faite uniquement pour dormir (ou pour contempler mon nez si j’avais la chance d’être seule). La seule autre activité était le travail sur la machine à écrire. Tout le reste, études, lecture, couture, musique, se faisait en bas, le plus souvent dans la cuisine. Il arrivait en effet que pour pouvoir ânonner les textes à apprendre par coeur, l’une de nous s’isole dans la salle à manger. Je me souviens d’une période d’examens particulièrement palpitante parce que j’avais entrepris la lecture de “Capitaine de Castille” dont on avait fait un film avec Tyrone Power, je pense. Ca se passait lors de la conquête du Mexique par les Espagnols et c’était plein de rebondissements dont je voulais toujours connaître la suite. Je n’arrivais pas à m’en détacher. J’avais donc pris un air vertueux et j’étais aller étudier dans la salle à manger, assise sur une chaise tout près du buffet où je pouvais cacher le livre au moindre bruit qu’aurait fait la porte de la cuisine. De temps en temps, prise de remords, je déposais le livre et j’étudiais quand même. Je me demande comment j’ai fini mes études “avec grand fruit” !
Annelise Répondre
Merci à toutes les participantes, tout cela m’a appris beaucoup de choses du passé, les vécus de nos ainées. C’est très amusant de vous lire tout en imaginant la scène de l’époque. En tant que sportive, je n’arrive pas à imaginer vivre mes périodes de règles sans les protections modernes. Dans la discipline de musculation, les abdos sont très sollicités, c’est l’endroit qui exerce une énorme pression à part les bras et les jambes pendant l’entrainement. Il m’est arrivé une fois devant des participants de pousser une quantité de sang en pleine séance de poids et d’abdo. Tellement honte, cet incident m’a poussé plus tard à faire tout pour avoir mon propre banc de musculation à domicile. Grâce au conseil mis à ma disposition dans une page d’un site web que vous aussi, pouvez consulter pour en savoir plus, je pouvais avoir aujourd’hui les équipements de base pour une bonne pratique de mon sport favori chez moi et loin des yeux des curieux