En novembre, on tuait un cochon, l’autre était vendu. Pour toute la famille, c’était un jour très important ; il assurait des victuailles pour le rude hiver ardennais et était promesse de joyeuses agapes. Un fermier du village, Joseph Tomassin, allait de ferme en ferme tuer et dépecer les cochons. Il était très adroit car il effectuait ce travail chaque hiver et ce depuis de nombreuses années.
Le cochon était amené dans la cour devant la maison, il le tuait et maman recueillait le sang qui servirait à la préparation du boudin noir. Puis, il prenait une botte de paille, y mettait le feu, y roulait le porc sur tous les côtés pour le débarrasser de ses soies. Avec l’aide de deux personnes, il le mettait sur une vieille table en bois, le frottait énergiquement à l’aide d’une brosse métallique pendant que grand-père l’arrosait de grands seaux d’eau. Notre cochon, qui il y avait une heure à peine, était sale et poilu, avait maintenant une couenne toute rose !
Commençait l’éviscération de la dépouille du cochon. Maman apportait plusieurs grands plats dans lesquels Joseph déposait foie, poumons, rate, cœur et intestins grêle qui une fois vidés et soigneusement raclés et lavés serviraient à la confection des saucisses et du boudin.
Je me souviens qu’il coupait la queue du cochon, la faisait griller dans le feu de paille et la dégustait sur place.
Enfin il suspendait la carcasse par les pattes arrières et on la laissait reposer et se refroidir jusqu’au lendemain où il viendrait en faire la découpe.
Nous les enfants étions impressionnés par tout ce rituel et sans nous l’avouer avions tous un peu la peur au ventre ! Mais pour rien au monde, nous n’aurions voulu rater cet événement. Nous formions un cercle autour du feu puis autour de la table et vivions le moment magique ou d’une coupure nette, Joseph faisait apparaître les entrailles du cochon et nous permettait de comprendre un peu les mystères de cette merveilleuse machine qu’est notre propre corps, cela nous en mettait plein les yeux, excitait nos papilles et imaginions déjà avec gourmandise nos futurs repas.
Le jour même, à midi, maman découpait et cuisait le foie dont elle avait prélevé la moitié pour la confection du pâté.
Le lendemain, le porc débité, était placé dans le saloir. Dans le fond, d’abord les quatre jambons salés, épicés au poivre et à l’ail entre autre puis lard et rôtis et entre chaque couche de viande du gros sel largement saupoudré. Le saloir une fois rempli, était à nouveau recouvert d’une épaisse couche de sel, on le fermait d’un lourd couvercle en bois sur lequel on déposait quelques grosses pierres pour assurer une étanchéité parfaite.
L’après-midi, nous aidions maman pour passer au hachoir environ vingt kilos de viande qui serviraient à la préparation de saucisses, boudins et pâtés. Ce hachoir solidement fixé à la table de cuisine, possédait aussi deux entonnoirs, un large pour la confection des boudins noirs, un plus étroit pour les saucisses fraîches et fumées.
En même temps, elle préparait un bouillon de légumes bien épicé pour y cuire la tête, la langue et les pieds de porc, et le tout, longuement mijoté sur le bord de la cuisinière, serait découpé le lendemain, mélangé avec oignons et persil hachés puis versé dans de grandes terrines en terre cuite, deviendrait une incomparable tête pressée.
Le boudin noir était réservé au repas du premier dimanche qui suivait l’abattage du cochon. Maman le cuisait au bouillon que nous buvions avec des biscottes. Le boudin était servi avec des carottes et pommes de terre cuites aussi dans ce bouillon. Chacun, dans son assiette, écrasait pommes de terre et carottes arrosées d’un peu de bouillon puis, maman déposait dans chacune des dix ou douze assiettes de la tablée un morceau de boudin odorant et fumant. Elle servait papa en premier et nous mangions en silence, le plus petit sur les genoux de maman.
Les oncles, tantes et voisins recevaient eux aussi un morceau de boudin et un ravier de tête pressée. A leur tour, ils nous en apporteraient au moment de l’abattage de leur cochon.
Après cinq à six semaines, les jambons et les lards étaient tirés de la saumure, mis à sécher, accrochés à de longues barres en bois insérées dans les poutres de l’arrière cuisine. Ils côtoyaient des dizaines de saucisses qui avaient été suspendues directement après leur préparation.
Après séchage, les jambons et une partie du lard étaient mis à fumer pendant plusieurs jours dans la vieille cheminée du fournil, grand père se chargeait de ce travail, choisissant avec soin le bois qui alimenterait le feu jour et nuit. Ce bois devait se consumer lentement sans faire de flammes. Fumés à point, soigneusement essuyés, lards et jambons étaient à nouveau suspendus au plafond. Plafond qui, pour nous, ressemblait à la caverne d’Ali Baba et à laquelle nous ne pouvions pas toucher. Seuls nos parents pouvaient prélever la quantité nécessaire aux repas.
Pour vous aujourd’hui, cette alimentation vous semble beaucoup trop riche et trop grasse mais pour nous, qui du plus petit au plus grand avions chacun notre part de travail à la maison, devions résister au froid (une seule pièce étant chauffée même au cœur de l’hiver). Nous brûlions toutes ces calories et la préoccupation de maman n’était pas de nous faire perdre du poids mais bien au contraire de le garder pour nous permettre de grandir tous en bonne santé.
Philippe Répondre
j’adore le saucisson, le boudin, le jambon, les pâtés et toute la charcuterie...
Je suis ravi qu’il y ait des textes comme celui-là pour rappeler qu’il n’y a pas que les régimes, que la surveillance de son alimentation pour vivre, bien vivre et même aller loin !
Petit fils de fermier j’en suis doublement ravi bien que n’ayant jamais vécu à la ferme de mon Grand-Père Jules.
Incroyable ce que l’on peut faire avec toutes les parties de la bête...pattes comprises au menu !
Belle écriture, directe et dépecante.
philippe