Dis Motch, il y a longtemps qu’on a plus vu ton père. Si on allait lui rendre visite à Bruxelles.

On va prendre le train, dis Mieter ?

Comment veux-tu qu’on y aille, sinon !

Enfin, je suis assez grande pour accompagner ma grand-mère à la grande ville.

Lorsque mon père ne s’était plus montré depuis un certain temps, ma grand-mère prenait son courage à deux mains et allait lui rendre visite.

Nous partions assez tôt au matin, d’abord à pied jusqu’à la gare de Lembeek et ensuite la grande aventure pouvait commencer.

Il s’agissait encore en ce temps-là de trains à locomotives à vapeur qui cesseront définitivement leur carrière en 1967. La jonction nord-midi venait de se concrétiser en 1952 après de nombreuses difficultés et retards depuis le début du siècle.

Chaque voiture en bois comportait une enfilade de portes étroites qui débouchaient sur une longue allée et des banquettes étroites en bois également.

Les chuintements aigus des jets de vapeurs, les cris des voyageurs et finalement le sifflet de départ rendaient l’excitation à son comble. Lentement, le train se mettait en route et à peine la vitesse de croisière atteinte, ma grand-mère sortait de son grand sac des tartines emballées dans du papier sulfurisé de cuisine.

C’était un rituel habituel que j’ai pu constater à maintes reprises dans d’autres circonstances et d’autres pays, un voyage débute toujours en déballant son pic-nic. Depuis ce temps-là, chaque fois que je me déplace plus d’une heure à pied, à bicyclette ou au train, j’ai toujours de quoi nourrir l’appétit du voyage au grand plaisir des enfants.

Tout au long du trajet, ma grand-mère n’ouvrait que rarement la bouche, trop occupée sans doute à se demander comment son fils allait l’accueillir. Depuis quelque temps, il semblait s’être "rangé". Il avait rencontré une certaine Mme Carron, d’une vingtaine d’années son aînée et, ensemble, ils avaient ouvert un café qui s’appelait, je vous le donne entre mille "A la Pinte". Le nom, j’en suis quasi certaine a certainement germé dans l’esprit pragmatique de mon père. Il était d’ailleurs son meilleur client.

De mon côté, le paysage qui défilait me calmait petit à petit et c’est dans une semi somnolence que nous arrivions à la gare de la Chapelle. Les rumeurs de la ville nous parvenaient par bouffées et c’est les yeux et les oreilles grands ouverts que nous débarquions chez mon père.

Son établissement se trouvait à l’emplacement actuel du bowling construit bien des années plus tard. Un des murs de la cour du café était la tour de la Porte de la Chapelle qui fait faisait partie des anciens remparts de Bruxelles, comme par exemple la tour de la Porte de Hal.

Ce café était une énorme pièce tout en longueur et dans le fond un emplacement était prévu pour qu’un petit orchestre puisse prendre place avec une piste de danse garnie de sciure de bois faisant belle effet, mais un peu sombre en cette fin de matinée.

Il n’y avait d’ailleurs pas grand monde à ce moment-là.

Comme mon père était encore à jeun, son accueil était plutôt chaleureux et même une pointe de tendresse me surprenait.

Alors, ma petite fille, comme tu as grandi et dans un grand élan, il me faisait tournoyer en disant : mais il te faut une jolie robe, nous irons t’en chercher une rien que toi et moi tout à l’heure.

Ma grand-mère et moi nous nous installions à une table près de la fenêtre et mon père nous apportait une soupe "faite maison" qu’il partageait avec nous en l’arrosant d’un bon verre de vin rouge.

Ca, ça donne des forces, tu vois. Goutte comme c’est bon dans la soupe !!

Après s’être restaurés, mon père disait :

Va faire un tour sur la place avec Mme Carron, nous avons à parler ta grand-mère et moi.

Quels beaux souvenirs que cette place de la Chapelle, toute parée de nombreux étals de fruits et de fleurs , de marchands d’escargots et de caricoles (bigorneaux) et de tellement de monde que cela me donnait un peu le tournis. J’entends encore les cloches de l’église sonner joyeusement.

Quand nous revenions, ma grand-mère avait l’air satisfaite, je suppose qu’elle avait obtenu gain de cause cette fois.

Parfois, l’après-midi, nous avions la chance d’assister à la répétition des musiciens qui allaient se produire le soir même. Mon père les accompagnait parfois à la trompette.

Les yeux brillants et la tête pleine de musique, c’est presque à regret que nous reprenions le chemin du retour.

31/07/06

1 commentaire Répondre

  • Laure Répondre

    C’est captivant ! J’aime beaucoup cette façon de décrire Bruxelles et ses trains... Un Bruxelles que je ne connaîtrai jamais, hélas ! J’ai habité les Marolles... je suis passée des dizaines de fois devant ce Bowling ! C’est très accrocheur de lire une histoire lorsqu’on reconnaît les lieux cités ! Ce texte est aussi riche en émotions ! Bravo !

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