Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble
Pour autant que je sache, les aides sociales dépendant des allocations familiales à cette époque s’attribuaient plus ou moins au mérite. Nous avions une visiteuse qui venait voir si la maison était bien tenue, elle s’appelait Melle Thonon. Elle était très contente de ma mère et admirait sa façon de tirer parti de tout. Il faut dire que ma mère fabriquait même nos pantoufles. Grâce à cette visiteuse nous avons pu aller une quinzaine à la mer à partir de 1946. Je ne sais pas jusqu’à quelle date cette intervention a duré, mais à partir de là nous sommes allés tous les étés quinze jours à la mer. Au début, mon père ne venait qu’une semaine, il n’avait pas plus de congé. Je me souviens d’une lettre qu’il nous avait écrite et sur laquelle figurait un dessin de petit train, dans lequel il viendrait nous rejoindre.
Ces vacances à la mer étaient une aventure extraordinaire. Elle commençait la semaine précédente lorsque ma mère préparait “la malle”, c’est-à-dire une caisse en bois fermant par un cadenas dans laquelle elle mettait les draps, les essuies, les couverts qui devaient nous servir sur place. Ma mère collait sur le dessus un papier avec l’adresse à la mer et un camion venait la chercher pour être expédiée par chemin de fer. Pendant ces préparatifs nous étions excitées comme des puces et nous rendions ma mère à moitié folle. Elle préparait ensuite une grande valise en osier, dans laquelle il y avait tous nos vêtements. Le jour dit nous partions à pied pour la gare du Midi, mon père portant la valise, ma mère des sacs bourrés et nous notre pelle et un petit sac avec nos poupées. On embarquait dans des trains bondés (il n’y avait pas d’autoroute et fort peu de voitures) , mon père nous frayant un chemin avec les aspérités de la valise en osier. Cette valise a dû rendre l’âme un jour et nous avons eu des valises en carton bouilli, qui ont servi à mes parents jusqu’à la fin de leur vie. Il y avait dans ce temps là des porteurs dans les gares mais ce n’était pas nous. Maintenant il n’y a plus de porteur et tout le monde tire soi-même son sac ou sa valise à roulettes. On débarquait à Ostende et en avant pour le tram de la Côte. Arrivée à ce stade, ma mère, tenaillée par une de ses migraines dont elle a toujours souffert, commençait à se sentir malade et je me souviens très bien l’avoir vue une fois vomir par la fenêtre du tram. L’arrivée à l’appartement était toujours spéciale aussi. Nous n’allions bien entendu jamais le voir d’avance et le louions par écrit. Nous en avons vu de toutes les couleurs mais nous les filles nous étions toujours contentes. Pour ma mère, les vacances n’étaient pas faciles, il y avait le même travail ménager qu’à la maison avec parfois trop peu de vaisselle ou de casseroles.
Nous avons connu ainsi de nombreuses stations à la côte avec des souvenirs marquants pour chacune. Je me souviens par exemple très bien de Coxyde où, revenant de la plage en rêvant éveillée comme d’habitude, je me suis cognée dans un poteau particulièrement vicieux. Il était fait en forme de poutrelle et je me suis envoyée plein front dans un bord bien aigu. J’ai vu trente six chandelles et chaque fois que je vois un dessin de Milou voyant des étoiles après s’être cogné , je repense à ce poteau. C’est aussi à Coxyde que j’ai fait une peur bleue à ma mère en me réveillant la nuit d’un horrible cauchemar et en criant que les Indiens arrivaient. Il faut dire que je devais avoir sept ou huit ans, que je lisais tout ce qui me tombait sous la main et que je venais de lire “Le dernier des Mohicans”, un gros bouquin plein de descriptions de paysages et d’aventures de pionniers mais aussi bien plein de descriptions des horribles tortures que les Indiens infligeaient aux colons. Mes parents n’avaient apparemment pas de discriminations à ce point de vue, tout ce qui était imprimé était bon à lire. Ils allaient changer d’avis avec le temps et l’influence de Sartre, de Simone de Beauvoir et de Françoise Sagan sur l’esprit de leurs filles !
Les dunes et les plages à l’époque étaient encore pleines de bunkers et de fil de fer barbelé qui seraient petit à petit enlevés mais qui à ce moment-là étaient dangereux. Il nous était par conséquent interdit de marcher pieds nus dans le sable. Que pensez-vous qu’il arriva ? La petite Suzanne marcha quand même pieds nus dans le sable et se prit un morceau de fil de fer barbelé dans la plante d’un pied. Espérant que personne ne s’en apercevrait, elle ne dit rien et souffrit en silence jusqu’au moment où la blessure était devenue tellement laide et la souffrance si forte qu’elle dut avouer. Il fallut trouver un médecin qui nettoya la blessure et administra une dose de pénicilline. La petite Suzanne ne fut pas félicitée !
Le soleil combiné à l’air marin était un autre danger. Ma peau très claire qui se constellait de taches de rousseur dès le début de l’été était l’objet rêvé pour les coups de soleil. Il n’existait pas de produits “ultra ceci” et “ultra cela” à l’époque. Il y avait de l’Ambre solaire qui chez moi agissait comme du beurre dans une poêle. Je me souviens d’un coup de soleil derrière les genoux , attrapé pendant que je construisais un fort. Ma peau était toute rouge et j’étais incapable de plier les jambes. En guérissant, la brûlure piquait et tirait et il m’était impossible de dormir. Le seul remède que l’on connaissait pour m’aider était d’appliquer du vinaigre. Mon père était aussi exposé que moi mais il restait tout habillé. Seule sa figure devenait toute rouge jusqu’au milieu du front, là où s’arrêtait sa casquette. C’était assez bizarre au retour à Bruxelles !
Nous faisions des kilomètres lors de ces vacances à la mer. Mon père ne supportait pas de rester assis plus d’une heure et nous partions, d’une station à l’autre ou à travers les dunes ou dans les petits bois entre Wenduine et Le Coq. Plus tard nous sommes parties seules, ma soeur et moi, une fois pour rejoindre Bray-Dunes en France depuis La Panne. Nous avions mal jugé le trajet qui était beaucoup trop long et nous sommes revenues très tard, affamées et mortes de fatigue. Nos parents étaient dans tous leurs états mais maintenant je me demande comment ils osaient nous laisser partir !
Nous passions aussi énormément de temps dans la mer, surtout ma soeur qui en ressortait bleue de froid alors que moi j’avais déjà abandonné. Toute petite, j’adorais les flaques toutes douces et chaudes et les petites rigoles qui conduisaient à la mer. Nous avions un petit bateau en bois d’à peu près 20 cm qui chavirait tout le temps, mais nous n’avions pas besoin de gros marsouins gonflables et autres matelas pneumatiques. Nous avions notre pelle et notre seau, ça suffisait à notre bonheur. Je me rappelle qu’un jour, suivant notre père au cours d’une de ses nombreuses promenades au bord de l’eau (il ne savait pas nager et ma mère non plus) nous avions trouvé une sole vivante abandonnée par la marée. Mon père l’avait mise dans un de nos seaux et recouverte d’eau de mer. Il était arrivé triomphant à la maison, mais ma mère qui avait horreur de tous les animaux, était moins ravie de devoir assister à l’assassinat de la sole et de devoir la nettoyer ensuite !
La digue était beaucoup plus calme que maintenant. Il n’y avait pas un mur de buildings et on pouvait y jouer au jokari (je jouais comme un pied) ou rouler en cuistax. Un jour, en dévalant une pente entre les villas, dans une espèce de cuistax-vélo, je suis tombée et je me suis fait un trou au genou, plein de gravier. Ma mère l’a nettoyé comme elle a pu et j’ai été dûment enduite de “teinture d’iode” qui piquait très fort. Il fallait constamment souffler sur la blessure pour calmer la douleur. Cette blessure a mis des mois à guérir, parce que j’enlevais les croûtes au fur et à mesure qu’elles se formaient.
Ces vacances étaient ponctuées par la visite de mon Parrain et de sa femme, Marraine Emilienne. Ils venaient parfois accompagnés du neveu de celle-ci, fils de son frère. Ce frère était étonnamment pour l’époque, divorcé. Son fils s’appelait Jean-Pierre, cousin Jean-Pierre quoiqu’il ne soit pas du tout notre cousin, et était pour nous un sujet d’ébahissement en tant que fils de divorcés mais il était bien sûr interdit d’en parler. Je me souviens, à ma grande honte, qu’un jour où nous étions invités chez mon Parrain et où nous jouions aux petits papiers (chacun écrivait une phrase, pliait le papier, le passait à son voisin, qui continuait et à la fin on lisait l’histoire) j’ai écrit, “mes parents s’entendent bien”. Je pense que c’était mon subconscient qui parlait. Quand on l’a lue, la phrase m’a parue tellement horrible que j’aurais voulu rentrer sous terre.
Je me souviens d’une année à Blanckenberge où nous avions mangé des tomates crevettes avec des vraies tomates, épluchées, qui ne venaient pas toutes vertes des Canaries ou d’Andalousie, à charge de mûrir chez nous et de devenir rouges mais dures comme des pierres et sans goût. C’étaient de vraies tomates et de vraies crevettes, achetées au marché et épluchées à la main. Je suppose mais je ne m’en souviens pas, que mon Parrain avait apporté une bouteille de vin et que nous en avions goûté un peu. En tout cas nous avons mangé comme des rois et ri comme des fous. Nous en avons souvent parlé par la suite.
Jean-claude Répondre
ça aussi c’est du vécu pour moi ,Wenduine ou Blankenberg,et ensuite Oostduinkerk en colonie de vacance socialiste,les voyages en train avec les valises tres lourdes avec ma maman qui j’imagine était éreintée mais je ne le percevait pas,les jumelles de mon père pour regarder les bateaux passer au large,l’odeur... de la mer que je ne perçois plus aujourd’hui,le cambuis qui collait à la plante des pieds,les cerf volants et petit avions rouge et blanc avec des ailes qui tounoiaient et qu’on tenait au bout d’une ficelle,les moules sur les brises lame,le Meli sur la rade de Blankenbergh,les hypocampes et les étoiles de mer sechées qu’on ne trouve plus aujourd’hui,franchement...que nous est il arrivé,qu’avons nous fait pour détruire tout ça et perdre ces merveilles,coups de soleil y compris,mais c’est vrais "Nivea" existe toujours et les indices ne cessent d’augmenter...merçi pour ce voyage dans le temps.Jean-claude