De 15 ans à 18 ans, je fus assidûment courtisée par mon cousin Alain qui s’était réfugié avec ses parents dans une belle maison située aux bords de la Vienne, à St Germain de Confoleur, en Charente, à un kilomètre et demi à pied de la « Grange terrou » où je résidais.
Il avait 7 ans de plus que moi et de beaux yeux bleus. Distingué de sa personne, portant des costumes en tweed. J’ai encore la couleur de ce tweed dans les yeux.
Il avait une grande culture. Je me rappelle surtout des poèmes de Rabindbantah Tagore, écrivain indien, auteur de poèmes d’inspiration mystique qui ont bercé mon adolescence.
Je ne puis résister à citer un très court extrait de son livre « Le jardinier d’amour » :
« O femme tu n’es pas seulement le chef d’œuvre de Dieu,
tu es aussi celui des Hommes : ceux-ci te parent de la beauté de leurs cœurs »
Nous faisions de longues promenades dans le bois appelé « les Charraux » qui juxtaposait la « Grange Terrou ». Notre amour était platonique, et cela était tout naturel. Rien d’autre ne nous serait venu à l’esprit, du moins en ce qui me concerne. Cela dura environ de 16 à 18 ans, moment qu’attendit Alain pour me demander en mariage. Les fiançailles eurent lieu à Blois, où demeuraient mes grands-parents maternels. Toute la famille était réunie et Alain m’offrit une superbe aigue-marine, pierre fine dont la transparence et la couleur bleu clair, nuancée vert, évoquait l’eau de mer.
J’étais heureuse. La date du mariage n’était pas encore fixée, mais peu importait. Je ne me rappelle plus qu’à partir de ce moment, Alain se soit montré particulièrement empressé auprès de moi. Je ne me rappelle pas d’un premier baiser...
Puis, ce fut la brisure ...
Au cours d’une réception de famille dans la grande maison de ma grand-mère paternelle à Poitiers, il m’entraîna dans une chambre située au deuxième étage et là, il se déshabilla, enleva son grand corset d’handicapé, qu’il jeta négligemment sur un fauteuil. Je savais qu’il avait eu la polio, étant jeune. Habillé, il était légèrement voûté, mais cela se voyait peu. Je savais aussi qu’il portait un corset. Mais, voir cet objet devant moi, à ce moment précis où il m’attira sur le divan, provoqua chez moi - au lieu d’exciter le désir érotique - un recul. Je ne sais plus quelles paroles j’ai prononcées. Je ne sais plus ce que j’ai fait, mais ce que je sais, c’est que nous ne fîmes pas l’amour.
La nuit suivante, je ne dormis pas. De bonne heure, je me précipitai dans la chambre de mes parents. Je leur demandais de bien vouloir faire part de ma rupture et de rendre la bague.
Bien cachée au fond de mon cœur, il y avait une grande question : comment mes parents avaient-ils pu accepter les fiançailles, étant donné notre cousinage ? Beaucoup de non-dits ...
Je ne sais si Alain a souffert. Ce que je sais, c’est qu’il aurait laissé entendre que « je n’étais pas intéressante » ; réaction de dépit que je pus comprendre.
Plus tard, il épousa une femme de 30 ans, protestante et portant chignon. Il en eut cinq enfants et mourut relativement jeune.
Nicole D.