En cette année 1950, la question royale faisait rage, papa et maman avaient jugé bon de nous mettre à l’abri des remous en nous inscrivant, mes deux soeurs et moi dans une colonie de vacances à Middelkerke. C’était notre première rencontre avec la mer. Je la trouvai grandiose, étonnante, capricieuse avec ses mines sans cesse changeantes, mais surtout avec son étendue ouverte sur des horizons infinis qui me faisaient rêver.... Elle me plut !
Ce qui me plut beaucoup moins, c’est la « Pension de Tante Renée » où notre séjour se déroulait : je fus reléguée dans la catégorie des petits, alors que mes deux aînées faisaient partie des grands. Cela leur donnait l’avantage de participer à des activités dont les petits étaient privés et cela me morfondait beaucoup. J’avais en effet l’habitude d’être traitée comme une grande, à l’égal de mes aînées, en raison de la taille que j’avais avantageuse pour mon âge et aussi du fait qu’il m’était confié, comme à elle, des tâches de surveillance des petites ou des coups de main à maman.
C’est là qu’eut lieu ma première vraie rencontre avec les garçons.
En l’absence de grand frère, je m’étais en effet contentée, jusqu’alors, de les côtoyer de loin, à vrai dire même de les éviter : quand, à la sortie de leur école située en face de celle des filles, ils surgissaient au même moment que nous, nous prenions grand soin de rester sur le trottoir d’en face, sans quoi nous nous exposions à des crocs en jambe, tirs de cheveux ou autres maltraitances qui nous faisaient pousser des cris d’orfraie jusqu’à ce qu’une « grande » suffisamment musclée vienne s’interposer pour séparer les combattants. Jamais nous n’avions l’occasion d’avoir un camarade de jeux masculin, aussi la mixité de la colonie de vacance attisa ma curiosité...
Jusqu’à un certain point car, très vite, je m’aperçus que cette engeance n’avait réellement de cesse que de nous montrer sa supériorité aux jeux d’adresse ou de vitesse. Ou encore de nous taquiner en écrasant les châteaux ou pâtés si laborieusement échafaudés. La moutarde me monta au nez et, d’une manière irrépressible, j’écrasai rageusement le tranchant de ma bêche sur le dos d’un enquiquineur qui avait eu l’outrecuidance de piétiner mon travail. Par bonheur, les lésions furent sans gravité, mais la punition ne se fit pas attendre : je me vis privée des activités collectives et reléguée seule, pour le reste de l’après-midi, dans un coin isolé, derrière une cabine, où cependant l’animatrice pouvait continuer à avoir l’œil sur moi.
Dépitée, ruminant ma colère, je tâchai de me distraire en dessinant du bout du pied des arabesques dans le sable, jusqu’au moment où je m’aperçus que j’étais en train d’étaler soigneusement un étron de chien que le sable qui le recouvrait m’avait empêché de voir.
Complètement dégoûtée de mon pied, du sable, de la colonie, des garçons, je me laissai aller à pleurer amèrement : même mes sœurs à qui je racontai mes mésaventures le soir venu, ne parvinrent pas à me consoler ni à m’enlever de la tête que ces foutus garçons, on ferait tout aussi bien de les rayer de la carte, ils n’avaient vraiment rien d’intéressant !!!
Vous ferai-je une confidence ? J’ai changé d’avis, mais il m’a fallu de nombreuses années pour m’en rendre compte !
Bernadette B.