Une mère connaît les goûts alimentaires de ses enfants et pourtant, elle n’est pas à l’abri de certaines surprises Ce jour là, à table, elle interpelle son plus jeune et s’étonne : - Je croyais que tu aimais les choux de Bruxelles ; alors pourquoi n’en manges-tu pas ?- La réponse fuse : - Oui, je les aime mais pas assez pour en manger...-
Aimer, aimer assez ! Voilà le véritable enjeu de ce qui nous met en route ! Aimer la vie, l’aimer assez pour vouloir la goûter, l’assumer, la partager, la protéger, la donner.
Quel est le lien entre cette considération et l’invitation reçue ?
D’emblée, la perspective de cette rencontre a fait surgir de ma mémoire quelques flashs de ma vie. Pas étonnant, Anne-Marie nous propose de mettre en animation ces mots magiques : « une première fois... »
Regardez, je déploie sous vos yeux, mon jeu d’enfant préféré, la marelle. A six ans, maladroite puis de plus en plus experte, je dessine sur le sol, dans le sable ou le gravier, à la craie, ou avec un bâton, des cases et des paradis de plus en plus grands, de plus en plus fantaisistes.
C’est en jouant que je prends conscience que la première case n’est pas unique ; elle suit la case zéro et est, elle même, suivie par tant d’autres. Pourquoi le premier saut, la première expérience de vie seraient-ils si particuliers ? Mais stop à la philosophie et place au jeu !
Hop, je lance mon galet dans la case de départ celle qui a, me semble-t-il, ordonné ma marelle à moi. Je saute à cloche-pied dans cette case : je suis à l’âge où je quitte les histoires de choux, d’abeilles et de fleurs pour découvrir que je suis comme une heureuse « suite » au dixième anniversaire de mariage de mes parents. Interrogés, mes géniteurs échangent un long regard et je cueille leur oui ! Je ramasse mon galet, armée pour une vie où l’émerveillement aura toujours une place de choix.
Dans la case où aboutit mon deuxième lancer, je me vois petite bonne dernière d’une famille qui compte déjà quatre garçons. Assez tôt, je découvre que mon anatomie ne me permet pas de faire pipi comme mes frères. Je ressens une terrible frustration et après beaucoup d’essais infructueux, je suis amenée à assumer dans ma tête et dans ma chair la différence sexuelle. Commence pour moi l’apprentissage de m’aimer assez pour ce que je suis !
Le jeu continue et avec lui, l’acharnement qui est le mien !
Autre case, autre expérience : j’ai douze ans et je vais damner le pion à mes frères qui me désignent familièrement comme « fond de tiroir » de la famille. Il vient de se passer en moi ce qu’aucun d’eux n’a connu et ne connaîtra jamais. Regardez comme je me redresse dans cette case où j’ai pour la première fois vu « rouge » ! Le fond de tiroir revendique sa place dans le tiroir ...
Un nouveau jet, mon galet va loin : toc ! Sur une case de cœur !
C’est un samedi, je coupe des pommes de terre en frites. Mes parents cherchent à engager un chauffeur pour leur commerce ; à 12 heures 30, il entre ! Je sens que ma case se met à vibrer dangereusement sous mes pieds et, pour la toute première fois, je sais, je sens et je me dis : « Le voilà, c’est lui ! ». Dès cet instant, je ne suis plus seule à sauter de case en case dans la marelle.
Je continue à aimer ce jeu de ma petite enfance et le dessin au sol a pris de l’ampleur. Chaque case me réserve sa part d’inattendu.
Mon galet s’émousse, ma main est moins sûre, et nous deux, nous nous sommes enrichis d’amour et d’amitié, il est donc normal que chaque nouveau saut devienne plus lourd.
Un dernier mot avant de quitter avec vous ces quelques cases de ma marelle, vous ai-je dit que tout au bout de la marelle, il y a un paradis ?
Rita. Mai 2005.
Jacqueline Bouzin Répondre
Quel joli jeu de marelle tu nous fait partager, Rita, d’une plume alerte, pleine de fantaisie ! Merci d’avoir utilisé, pour vivre, tant de générosité intuitive et de confiance qui t’ont permis de découvrir avec bonheur aussi bien ta féminité que l’amour. Comme quoi, seule importe dans les événements vécus la qualité du regard...Bien amicalement. Jacqueline.