Les vacances à la mer étaient une aventure extraordinaire. Elle commençait la semaine précédente lorsque ma mère préparait "la malle", c’est-à-dire une caisse en bois fermant par un cadenas dans laquelle elle mettait les draps, les essuies, les couverts qui devaient nous servir sur place. Un camion venait chercher cette malle qui était expédiée par chemin de fer. Pendant ces préparatifs, ma sœur et moi étions excitées comme des puces et nous rendions ma mère à moitié folle. Elle préparait ensuite une grande valise en osier, dans laquelle il y avait tous nos vêtements. Le jour dit, nous partions à pied pour la gare du Midi, mon père portant la valise, ma mère des sacs bourrés et nous, notre pelle et un petit sac avec nos poupées. On embarquait dans des trains bondés (à cette époque -1947 - il n’y avait pas d’autoroute et fort peu de voitures), mon père nous frayant un chemin avec les aspérités de la valise en osier. Cette valise a dû rendre l’âme un jour et nous avons eu des valises en carton bouilli, qui ont servi à mes parents jusqu’à la fin de leur vie. Une ou deux doivent encore faire office de rangement chez Françoise. Il y avait dans ce temps là des porteurs dans les gares mais ce n’était pas nous. Maintenant il n’y a plus de porteur et tout le monde tire soi-même son sac ou sa valise à roulettes. On débarquait à Ostende et en avant pour le tram de la Côte. Arrivée à ce stade, ma mère, tenaillée par une de ses migraines dont elle a toujours souffert, commençait à se sentir malade et je me souviens très bien l’avoir vue une fois vomir par la fenêtre du tram. L’arrivée à l’appartement était toujours spéciale aussi. Il était loué par écrit et nous n’allions bien entendu jamais le voir d’avance. Nous en avons vu de toutes les couleurs mais nous, les filles, nous étions toujours contentes. Pour ma mère, les vacances n’étaient pas faciles, il y avait le même travail ménager qu’à la maison avec parfois trop peu de vaisselle ou de casseroles.

Nous avons connu ainsi de nombreuses stations à la côte avec des souvenirs marquants pour chacune. Je me souviens par exemple très bien de Coxyde où, revenant de la plage en rêvant éveillée comme d’habitude, je me suis cognée dans un poteau particulièrement vicieux. Il était fait en forme de poutrelle et je me suis envoyée plein front dans un bord bien aigu. J’ai vu trente-six chandelles et depuis, chaque fois que je regarde un dessin de Milou voyant des étoiles après s’être cogné, je repense à ce poteau.

C’est aussi à Coxyde que j’ai fait une peur bleue à ma mère en me réveillant la nuit, sortant d’un horrible cauchemar en criant que les Indiens arrivaient. Il faut dire que je devais avoir sept ou huit ans, que je lisais tout ce qui me tombait sous la main et que je venais de découvrir "Le dernier des Mohicans", un gros bouquin plein de descriptions de paysages et d’aventures de pionniers mais tout aussi plein de descriptions des horribles tortures que les Indiens infligeaient aux colons. Mes parents n’avaient apparemment pas de discriminations à ce point de vue, tout ce qui était imprimé était bon à lire. Ils allaient changer d’avis avec le temps… et l’influence de Sartre, de Simone de Beauvoir et de Françoise Sagan sur l’esprit de leurs filles !

1 commentaire Répondre

  • jeannine Répondre

    Merci de remémorer ces départs vers la mer du nord
    La malle en bois surtout, aux ferronneries un peu rouillées et dans laquelle ont entassait tout le nécessaire à la villégiature idéale. Le camion du "chemine de fer" qui venait quelques jours avant le grand départ et qui m’inquiétait en emportant les filets de pêches et autres jeux de plage. Nous allions à Breedene, dans un petit appartement très modeste donnant sur une arrière cour. Mais les dunes, bien que truffées de "bunker" laissés en cadeau par l’armée allemande, me semblaient tellement plus haute qu’aujourd’hui. Est-ce une illusion ?

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