Je me revois, à l’âge de douze ans, jeune garçon issu d’une famille nombreuse de quatre enfants dont l’aînée, Christiane venait de se marier. Elle avait fait comme on dit « un beau parti », épousant un grand antiquaire de la rue Royale, malgré l’opposition de principe de notre père, homme de rigueur tenant sa fille en piètre estime. Il jugeait que ce mariage conduirait cet « oiseau sans tête » à perdre le sens des réalités au contact des facilités et du luxe de sa nouvelle vie. C’était une sentence dure mais marquée au coin du bon sens.
Christiane mariée, nous restions trois fils, un père autoritaire et une mère de santé fragile au sein de ce foyer sans autre famille d’où que ce soit. Mes parents ne recevaient jamais personne et moi-même plongé dans mes études et rappelé à l’ordre à la moindre incartade, je subissais sans mot dire, comme mes deux frères, le joug paternel.
Seule la nuit me permettait de m’évader dans mes rêveries avec, toujours présente à l’esprit, l’angoisse de mon avenir.
A l’école, je n’avais aucun ami parmi les jeunes, insouciants et bien dans leur peau, qui venaient de milieux aisés, tenant souvent le haut du pavé dans la capitale.
Plus grands que moi pour la plupart, ils riaient à la vie, contents d’eux-mêmes, parlant à qui voulait l’entendre des relations de leurs parents, des filles qui peuplaient leur imaginaire.
A vrai dire, à moi qui n’en avais rencontré aucune, les filles me paraissaient appartenir à une terre inconnue, à une espèce mystérieuse qu’il me faudrait approcher un jour. J’appréhendais ce moment, ne sachant quelle contenance prendre pour ne pas paraître niais. J’avais un complexe d’infériorité que je dissimulais par une agressivité de combat, cherchant à déstabiliser mon interlocuteur qui était loin de se douter des raisons de mon comportement.
En un mot comme en cent, j’étais, je m’en rends compte aujourd’hui, un monstre d’ambiguïtés.
Les aînés qui étaient mis en ma présence avaient vite fait de me classer parmi les « sales gamins ».
Seul dans ma chambre, je dévorais les livres de la bibliothèque, m’identifiais aux héros vengeurs, me ruais sur les journaux, m’efforçant de comprendre les rouages de la politique et les différences des partis en lutte pour le pouvoir.
Quand je terminai mes latines inférieures, à quatorze ans, je décrochai un emploi d’ « employé classeur » dans une compagnie d’assurances, la Zurich, où, sans prévenir mon employeur, je n’étais décidé de rester que trois mois, le temps de me faire de l’argent de poche avant de reprendre mes études. Ce fut mon premier contact avec le monde extérieur, le monde du travail que je découvrais et qui me fit horreur.
La médiocrité, le petit esprit borné, l’autorité des ronds-de-cuir y régnait en maître et cet univers concentrationnaire me parut le châtiment pour ceux et celles qui y perdaient leur jeunesse et leurs illusions. Ce passage de trois mois dans les assurances me fit comprendre une fois pour toutes, que le monde se dirigeait inexorablement entre oppresseurs et opprimés, entre dominants et dominés, entre gagnants et perdants.
Et croyez-moi, j’avais choisi mon camp.
francine sprung Répondre
Mon cher Marc inconnu,
Comme la vie peut être différente d’une personne à l’autre,nous avons à peu près le même âge,née en 1933.J’habitais Auderghem,entre 11 et 16 ans,je faisais partie d’une bande de copains filles et garçons du même âge,quelle liberté, quelle joie de vivre en groupe,les amourettes,le football,le basketball,le cinéma,j’ai pu vivre mon adolescence avec tout ce que cela m’a apporté de souvenirs merveilleux.J’avais des parents très compréhensifs,adorables,tout ça s’est terminé par la mort brutale de ma gentille maman en 1949.J’espère que cette triste jeunesse vous a quand même permis de vous épanouir.Je suis bien loin de tout ça maintenant mais je ne pourrai jamais oublier tous mes amis d’alors.Amicalement
Francine SPRUNG
Animatrice JMV Québec-Canada