Extrait de "Nous racontons notre vie" 2023-24
Présentation
Je suis née en 1965, au Mozambique, une ancienne colonie portugaise. Je suis de nationalité portugaise. Je suis née dans une voiture, une Coccinelle. Mes parents étaient en promenade au bord de la mer lorsque j’ai décidé d’arriver au monde.
Ma vie a connu beaucoup d’événements compliqués et tristes, beaucoup de changements. Je suis arrivée en Belgique en 2010 pour le travail et je me sens encore étrangère ici. Je ressens de la confusion dans mes souvenirs, car je manque de repères familiaux.
Enfance
J’ai grandi au Mozambique jusqu’à mes 10 ans. C’est grâce à des photos de famille faites par mon père que je peux me souvenir de cette période, car, étonnamment, j’ai très peu de mémoire de cela. D’après les photos, je vivais dans une famille soudée et bienveillante, dans le contexte colonial des années 1960. Mon père a été muté plusieurs fois au Mozambique. D’après les photos, je suis allée à l’école chez les religieuses et aussi à l’école publique avec les enfants africains.
Au moment de l’indépendance, en 1975, mes deux sœurs et moi avons été envoyées, seules, au Portugal, car mes parents avaient très peur que quelque chose de grave nous arrive. On a logé pendant 2 années dans des familles d’accueil, en étant séparées de nos parents. La première famille où je suis tombée habitait à la campagne, au nord-est du Portugal. C’était une famille de grands propriétaires terriens. Aujourd’hui, j’ai la nostalgie de cette nature et de la montagne, même si je n’y ai vécu que quelques mois.
Lorsque mes parents sont revenus au Portugal, nous nous sommes retrouvés et avons vécu ensemble à Lisbonne, mais nous étions devenus un peu des étrangers les uns envers les autres. Ma mère est rapidement décédée d’une maladie incurable. J’avais alors 13 ans.
Être femme
Mon adolescence s’est déroulée au Portugal, dans la période suivant la fin de la dictature de Salazar, à un moment de changement de mœurs. Pendant la dictature, la mentalité était très conservatrice et la religion catholique très présente dans la vie des gens. Le rôle social des femmes était limité. Après la révolution, cela a été un changement global de la société.
Le fait d’habiter dans la capitale m’a permis d’être plus libre. Même si mon père était plutôt conservateur et ma grand-mère très stricte, le manque d’encadrement familial, dû à la mort de ma mère, m’a permis de choisir mon chemin. J’étais plutôt intellectuelle, intéressée par la culture, et j’ai décidé que le mariage ne me convenait pas. En fait, je ne me suis jamais mariée, même si j’ai vécu en couple plusieurs fois. Au contraire, mes sœurs se sont mariées très tôt et sont devenues mères rapidement.
Entre ici et là
Nous avons beaucoup bougé dans notre famille. Quand on déménage, on gagne, on s’enrichit d’expériences et on apprend d’autres modes de vie, mais on perd aussi beaucoup, on perd de son identité en en construisant une autre. On développe un être flou, et ça, c’est douloureux. Les gens qui n’ont pas eu le même genre de parcours ne comprennent pas. Moi, je me sens connectée avec les autres migrants du monde.
J’ai beaucoup souffert jeune, en arrivant au Portugal, après l’indépendance des colonies. On subissait des préjugés : en Afrique, on était des Blancs, des colonisateurs et, au Portugal, on nous appelait « retornados », cela correspond au terme « Pieds-noirs » en France. À l’école on était harcelés, on était bousculés par les autres enfants. Et nous n’avions pas de parents pour nous soutenir, car nous vivions en familles d’accueil.
« Retornado » signifie celui qui retourne, mais moi je ne retournais pas, car je suis née en Afrique. C’étaient plutôt mes grands-parents et mes parents qui retournaient. On était mal vus, car on avait été des exploitants. Il a eu aussi un grand choc culturel, car les gens arrivant des colonies avaient des habitudes très différentes de celles de Lisbonne. Aussi, le contexte de crise du pays, les grands changements politiques et historiques qui se produisaient à cette époque ont été à l’origine de beaucoup de tensions sociales.
Plus tard en tant qu’adulte, en venant travailler au Luxembourg et en Belgique pour des raisons professionnelles, j’ai subi des expériences qui m’ont fait bien sentir que je n’appartenais pas au pays « d’accueil » et ça, c’est très dur. Or je suis une Européenne. J’imagine que, pour les personnes d’autres continents, ça doit parfois être plus complexe et douloureux. En arrivant au Luxembourg en 2005 pour mon travail, j’ai compris que le Portugais était perçu comme quelqu’un de bas niveau, qui n’avait pas fait d’études et ça m’a causé des difficultés. Un jour je suis allée chez le médecin et celui-ci ne croyait pas que j’étais portugaise : « vous n’êtes pas portugaise, car les Portugais n’ont pas les yeux bleus et ne sont pas blonds ! Vous avez étudié, vous êtes mince et grande ! ».
Je suis consciente que je dois transformer ces expériences en un atout, pour être plus forte. Je n’y arrive pas encore. J’essaie de ne pas vivre uniquement dans un milieu d’immigrés. Cela me semble figé, on a des idées très « clichés » : la culture portugaise, ce n’est pas que le fado et les pasteis de nata. J’essaie de me lier à plusieurs cultures et personnes et de les comprendre par le biais de la culture. Ça me permet de m’équilibrer et d’apprendre toujours plus. La littérature, les arts plastiques, le cinéma, etc., sont des langages internationaux qui nous font comprendre le monde.