Extrait de "Nous racontons notre vie" 2023-24
Présentation
Je suis né en 1956, en Iran. Mon vrai prénom c’est Moslem, mais j’ai choisi plus tard un autre prénom : Michaël. J’ai eu la chance, en arrivant en Belgique, de l’intégrer à ma carte d’identité de manière officielle. J’ai changé de prénom pour ne plus subir de racisme. Je l’ai choisi en hommage à un pharmacien de notre quartier. Pendant la guerre Iran-Irak, il a donné des médicaments et toutes ses richesses aux femmes iraniennes dans le besoin. À sa mort, les musulmans et les chrétiens se sont disputés pour l’enterrer dans leur cimetière.
Je suis arrivé en Belgique en 1976, grâce à une bourse en médecine. J’ai passé un concours dont j’étais parmi les 10 premiers.
Enfance
Ma vie c’est comme un roman.
De 4 à 6 ans, j’ai suivi l’école coranique, j’ai appris l’arabe classique, mais je l’ai oublié.
De 7 à 12 ans, je suis allé dans une école primaire dans une ville provinciale d’Iran. J’aimais beaucoup l’école. Il m’est arrivé de m’évanouir très souvent à l’école primaire, car je n’avais pas assez à manger à la maison. Je me souviens que l’institutrice me donnait alors des biscuits de la marque « Lu » venant de Belgique. Cela a été mon premier contact avec la Belgique !
L’école était très importante pour moi, je peux dire que j’étais un fanatique de l’école. Car à la maison il n’y avait rien. Ma mère avait une maladie psychologique, elle était maniaco-dépressive.
Mon père était militaire, mais c’était aussi un opiomane. Il avait aussi un problème avec l’alcool. Il a tenté à plusieurs reprises de se désintoxiquer, mais il n’y arrivait jamais. Quand j’étais petit, il m’envoyait chercher sa drogue alors qu’il était en centre de désintoxication. Je peux dire que j’étais un dealer à l’âge de 8 ans, à cause de mon père.
Ma mère était une musulmane chiite, fille d’un propriétaire terrien. Quand elle était jeune, elle est tombée enceinte d’un des fils du propriétaire voisin. Or, il y avait des conflits liés à l’eau, entre les 2 propriétaires. Mon grand-père maternel était très têtu, il n’a pas accepté que ma mère épouse le fils de ce propriétaire. La tante de ma mère lui a alors présenté mon père, pour qu’il l’épouse. C’était un chrétien orthodoxe d’Azerbaïdjan. Il avait un chagrin d’amour et était très malheureux. C’est comme ça que mes parents se sont mariés. Je suis donc le fils de ma mère, mais pas le fils biologique de mon père. Mais comme c’est lui qui m’a élevé, je le considère comme mon père.
Mes grands-parents habitaient le nord de l’Iran, c’étaient des anges pour moi. Chaque année, nous passions 3 mois de vacances scolaires avec eux. On travaillait dans les champs, dans les rizières et enfin, on avait le ventre plein !
À 19 ans, comme j’adorais les sciences, j’ai passé un concours de médecine que j’ai réussi. C’est comme ça que je suis venu étudier en Belgique.
Être homme
Je me suis éduqué en regardant les autres et en posant des questions.
J’ai été amoureux de la copine de ma sœur. C’était un amour platonique. En Iran, flirter n’existe pas, on ne peut pas avoir de boyfriend. C’est la famille qui choisit pour toi ta future épouse. Il y a des critères sociaux et financiers pour faire ce choix : les parents de la fille regardent si leur futur beau-fils vient d’une famille honnête, travailleuse et riche. Ce n’était pas mon cas : j’avais une mère dépressive et un père drogué, nous étions pauvres. Je n’ai pas pu envoyer mes parents demander la main de cette fille.
À 19 ans, j’ai découvert les choses de l’amour dans un bordel de Téhéran avec des « anges célestes ». C’est comme ça que j’appelle les femmes qui font ce métier.
Arrivé en Belgique, j’ai rencontré ma future femme. Elle était belge, flamande et travaillait à l’hôpital Molière. Hélas je n’ai jamais été aimé de ma belle-mère. Elle avait des idées négatives sur les Iraniens à cause de la guerre Iran-Irak. Elle ne me faisait pas confiance et pensait que j’allais m’enfuir avec notre fille en Iran.
Je peux dire que j’ai eu la chance d’être un garçon dans ce monde.
Travail
Mon père travaillait comme militaire à la caserne. Ma mère était femme au foyer.
Mon premier travail pendant les vacances d’été a été de colporter, de 6h à 20h, des bouteilles de coca. On transportait, du camion à l’usine, les bouteilles pour les cafés. Mon premier salaire, je l’ai donné à ma mère.
Pour éviter le service militaire, j’ai postulé pour une bourse de médecine. Pendant les 6 premières années, je vivais avec d’autres étudiants iraniens. Après la révolution iranienne, on a été mis à la porte. J’ai choisi alors d’avoir un statut de réfugié.
À la fin de mes études de médecine, en 1982, j’ai travaillé comme infirmier dans une maison de repos. J’ai donné ensuite des consultations en tant qu’indépendant à Schaerbeek et à l’hôpital Paul Brien. Les gardes étaient difficiles, car il fallait rester éveillé. Du fait de mon accent, j’avais plus facile avec les étrangers. Je me souviens d’un cas difficile à Schaerbeek : une petite fille étrangère qui avait beaucoup de fièvre, elle vivait dans une cave. Elle n’avait aucun jouet. J’ai vu de la misère là-bas, des gens qui louaient des lits pour dormir. J’ai aidé des gens à mourir, pour les soulager, avant que l’euthanasie ne soit légalisée.
Si j’avais pu choisir le métier que je voulais, j’aurais été astrophysicien. Mais en Iran, il n’y avait des bourses que pour la médecine.
Entre ici et là-bas
J’ai quitté l’Iran pour la Belgique en 1976, pour étudier la médecine. J’ai alors connu le racisme. Un professeur a voulu me faire échouer injustement à son cours. Finalement, une réunion a été organisée pour que je puisse quand même réussir mon année. Une autre fois, pendant la guerre Iran-Irak, je suis allé boire un café à Ixelles avec une amie iranienne. Mais ils ont refusé de nous servir et nous ont chassés du café.
Je me sens 100% belge depuis mon arrivée. Mon cœur est belge. Mais je nourris ma part iranienne à travers la littérature et la poésie de mon pays d’origine. En Iran, la langue c’est le farsi (le perse), c’est une langue asexuée, ce qui est plus facile que le français.
Quand je suis arrivé en Belgique, j’ai eu un choc culturel, car, en Iran, la société musulmane est misogyne et les femmes n’ont pas beaucoup de droits. Ici en Belgique, j’ai été surpris de la liberté sexuelle. Mais surtout, je me suis senti enfin libre d’apprendre tout ce que je voulais, entre autres l’astronomie.
Ce en quoi je crois
Ma famille paternelle était orthodoxe et ma famille maternelle était chiite. Ma mère était une fervente musulmane, elle pratiquait la prière et le ramadan. Mon père, lui, était perdu dans la drogue et l’alcool. De 4 à 7 ans, je suis allé dans une école coranique. J’y allais pour faire plaisir à ma mère. C’était un pensionnat. J’en suis sorti plus athée qu’avant.
Je trouve que les religions sont superstitieuses. J’ai aussi quitté l’Islam par rejet des chefs religieux iraniens. Depuis que je suis en Belgique, je suis bouddhiste et végétarien. Je suis contre l’abattage des animaux. C’est ma deuxième femme qui m’a amené vers le bouddhisme. Ce que j’aime là-dedans, c’est le fait de ne pas être matérialiste, de ne pas se tourner vers les plaisirs faciles. Le bouddhisme dit que les choses sont impermanentes. Je ne vais pas au temple. Mais je rencontre d’autres bouddhistes lors de conférences. J’ai eu l’occasion de rencontrer le Dalaï-Lama.
Les changements dont je suis témoin
Je suis témoin du changement climatique. En 1976, à mon arrivée ici, il faisait très froid, il neigeait. La neige est une santé de la nature. Il y a déjà eu des changements climatiques dans le passé. C’est très angoissant pour l’humanité.
J’ai vu aussi beaucoup de changements au niveau médical : le développement des endoscopies, des fibroscopies, les stents, la chirurgie à distance. Ce sont des changements extraordinaires !
Un autre changement dans la société occidentale, c’est la manipulation des masses dans les médias. Aujourd’hui, on minimise la tragédie palestinienne. Il y a aussi une manipulation des masses populaires au niveau des mœurs. Les jeunes ne lisent plus de livres.
L’homme s’éloigne de plus en plus de la nature au profit de la machine. La robotisation est un grand risque pour l’humanité. Plus il y aura des machines, moins il y aura du travail.