Extrait de "Nous racontons notre vie" 2023-24
Enfance
Je suis née près de Tournai en 1946. Mon père a été prisonnier des Allemands pendant 4 ans, il y était ouvrier agricole. Il disait qu’il a mangé mieux là que s’il était resté en Belgique. Quand j’avais 4 ans, il est décédé dans un accident de train. J’ai grandi auprès de mes grands-parents maternels. J’ai vécu 40 ans à Mons.
Je vais vous raconter une expérience d’enfance traumatisante. Mon école se trouvait à 35 km de ma maison. De ce fait, à l’âge de 12 ans, ma tante m’a hébergée. Mais j’y ai été abusée par son mari. Cela a duré 1 mois. Lorsque c’est arrivé, je n’ai plus souhaité aller chez ma tante. Bien que je n‘ai rien expliqué à ma mère, elle a compris. À la suite de cet événement, il y a eu une rupture de contact avec ma famille maternelle, car ma mère en a parlé au sein de sa famille. Cette rupture a été difficile à vivre. J’ai été bien soutenue par ma mère à l’époque et j’aurais voulu lui dire « merci de ton soutien maman », mais je n’en ai pas eu l’occasion avant son décès. Le traumatisme dû à l’abus a duré pendant des années et cela a affecté mon regard sur les hommes et les femmes.
Famille
Ma mère nous a élevés seule. Elle était très exigeante, mais aussi très présente. Elle tenait un commerce de 8h à 19h. D’un côté du magasin, elle vendait du tabac et, de l’autre côté du magasin, elle vendait des objets de toilette et des produits de beauté. Ma tante maternelle était célibataire, elle n’aimait pas les hommes. Mon grand-père maternel nous l’avait imposée et elle vivait avec nous.
Ma grand-mère paternelle était très attachée à nous. Elle avait perdu son fils (mon père) de manière tragique. Et son mari était mort jeune d’une tuberculose. Ma grand-mère était picarde, elle disait toujours "un baudet qui fait à s’mode, c’est l’mi-temps d’ses nourritures" ce qui veut dire : "quelqu’un qui fait les choses comme il veut, c’est comme s’il avait déjà la moitié de son salaire". C’était un message de liberté, j’y pense encore souvent !
Chez ma grand-mère maternelle, c’était très différent. Elle et son mari étaient issus d’une classe sociale plus élevée. Mon grand-père était ouvrier dans une carrière. Ensuite il a développé un commerce très lucratif en vendant du charbon. Grâce à cela, il s’est offert une grande propriété bourgeoise. Il avait beaucoup de maîtresses. Ma grand-mère était très discrète, très effacée, elle s’appelait Amélie. Tous les dimanches à 10h00, notre grand-père nous emmenait à la messe à la cathédrale de Tournai. Mais on sentait de sa part une fumisterie, il s’en foutait complètement et se serait assis à l’envers s’il le pouvait ! Le repas qui suivait était très silencieux, très différent de chez mes grands-parents paternels où c’était très vivant.
Être femme
Ma mère a eu quelques amants après le décès de mon père. Lorsque j’ai eu 16 ans, elle a épousé le cousin de mon père, mon tuteur. C’est grâce à lui et à ma maman que mon regard sur les hommes a changé.
À 18 ans je suis partie en voyage avec des amis. Dans le train qui m’emmenait en Espagne, j’ai rencontré un jeune homme espagnol. Nous avons eu des échanges de lettres pendant un an et demi. J’étais très amoureuse de ce garçon. Il a demandé ma main, mais mes parents ont refusé, car j’étais aux études.
Ensuite je me suis mariée avec un homme proche de la famille, mais on s’est quittés après 10 ans de mariage. Nous avons eu une fille. Avec le recul, je pourrais dire que ce mariage était un mariage « arrangé ». Je n’étais pas vraiment amoureuse.
Après cela je suis tombée amoureuse d’un homme de 25 ans de plus que moi. C’était le directeur de l’institution où je travaillais. Il admirait les femmes et les respectait beaucoup. Il est mort il y a 13 ans. Nous avons été très heureux, il me manque beaucoup.
Les changements dont je suis témoin
Un changement qui me marque beaucoup ? C’est la naissance des pères proches de leurs enfants. Ce changement est pour moi extraordinaire. Je vois des hommes avec des poussettes, avec des porte-bébés sur le ventre. Ils s’impliquent dans l’éducation de leurs enfants. J’ai eu 2 maris et je ne les ai jamais vus se promener en tenant les enfants par la main. Ils étaient là psychiquement, mais pas physiquement. À l’école proche de ma maison, je vois plus d’hommes que de femmes venir chercher les enfants.
Je fais un lien entre cette observation et le fait qu’il y a plus de femmes qui occupent des postes importants, dans les entreprises, en politique, à la tête des universités. Comme les femmes travaillent, elles peuvent donner moins de temps à leurs enfants et donc les hommes s’y mettent ! Mais cela pose une question : à qui doit-on confier l’éducation des enfants ?