Extrait de "Nous racontons notre vie" 2022-23

Enfance et adolescence

Je suis née en 1948, de parents tchèques. Mon grand-père paternel était chanteur à l’opéra de Prague. C’était un homme à femmes. Mes parents venaient de deux familles nobles. Mon père était un intellectuel, ingénieur chimiste, un chef, un patriarche. Ma mère avait fait des études de droit, elle était plus douce dans ses relations.

Quand il y a eu l’invasion russe, mon père voulait quitter le pays pour fuir le communisme et rester un libre penseur. Ils se sont enfuis à la fin de l’année 47 vers la Belgique. Mon père est parti au Congo pour travailler pour l’Union minière. Je suis née là-bas. Je m’appelle Patricia. Mon prénom de baptême est Vlasta. Cela signifie la patrie. À la commune, en Belgique, ils n’ont pas pu l’enregistrer, car il ne faisait pas partie du calendrier chrétien. Alors nous avons choisi Patricia, qui fait référence à la patrie.

Nous sommes revenus en Belgique quand j’avais 8 ans, car mon père avait un cancer. Mon père est décédé lorsque j’avais 11 ans, cela a été une expérience traumatisante, je n’ai pas pu aller à son enterrement, la famille a voulu me protéger. Je n’ai pris conscience de sa mort que deux ans après. En rue, je courais après chaque homme pour voir si c’était mon père.

Je suis allée à l’école au Sacré-Cœur de Lindthout. Cela a été un choc, une expérience traumatisante : comme j’étais gauchère, on m’attachait la main gauche dans le dos, car elle représentait la main du diable.

Un souvenir marquant ? A la mort de Papa, Ma maman n’a pas trouvé de travail facilement. Être veuve avec 3 enfants n’a pas été facile pour elle. Elle a fini par trouver un travail chez un notaire. Moi, à ce moment-là, je rêvais d’avoir un appareil photo. Ma mère ne comprenait pas, elle me disait que c’était un truc d’homme. Le jour de mes 16 ans, une grande boîte à chaussures m’attendait. Quand je l’ai ouverte, il y avait un appareil photo Minolta à l’intérieur. Ça a été le plus beau cadeau de ma vie. J’ai une mémoire photographique et je voulais partager mes sensations, mes ressentis quand je prenais une photo. J’avais besoin de concrétiser les images que j’avais dans le cerveau et dans le cœur. Aujourd’hui, tout le monde a un appareil photo. À l’époque cela coutait cher et il fallait réfléchir, économiser, calculer ce qu’on prenait en photo. À l’école du Sacré-Cœur, il ne fallait pas que je dise que je prenais des photos, car les sœurs auraient pensé que j’allais capter le diable, que j’étais narcissique. Cet appareil a été un cadeau très important pour moi, surtout dans le contexte de l’époque : une fille avec un appareil photo, une maman veuve, et le prix que cela coûtait. La valeur des choses a changé, les enfants ne se rendent pas compte de ce que les parents investissent pour eux.

Être femme

J’ai été élevée par une maman qui jouait les deux rôles, puisque mon père n’était plus là. Elle était très dure surtout avec les filles. Elle préférait mon frère. Il m’a fallu trouver ma place dans ma famille, dans la société. Ma mère me responsabilisait beaucoup, je devais m’occuper de ma sœur qui n’étudiait pas bien et de mon frère qui devait avoir ses chemises toutes prêtes. Je suis guérie de tout ça à présent.

En ce qui concerne les choses de l’amour, on n’en parlait pas. Pour les garçons, on disait : « Le coq est lâché, les poules n’ont qu’à faire attention. ». Pour les filles, on disait « N’embrasse jamais un garçon, tu vas finir enceinte ! ».

À 16 ans, je suis tombée amoureuse du copain de mon frère. On ne faisait que se tenir la main. Mais un jour, il a voulu me montrer comment on embrassait et j’ai dit non. À l’époque, c’était un sujet tabou, un homme + une femme = un bébé. On nous disait de ne pas embrasser un garçon pour ne pas nous embarquer vers un péché. J’ai appris les choses de l’amour dans « les livres interdits », j’arrivais à les trouver à la bibliothèque. Lorsque j’ai été réglée pour la première fois, c’est mon frère qui m’a expliqué ce qui se passait.

J’ai toujours craint l’amour, de tomber amoureuse et des conséquences que cela pouvait avoir. Je craignais d’être une femme. Je voyais toujours ma mère sévère et travailleuse. Et par mon éducation, je devais être une femme parfaite.

Je me suis mariée jeune, à 21 ans. Mon mari était violent. J’en ai parlé à ma mère, elle m’a dit : « Cela pourrait être pire, il ne boit pas, il ne te trompe pas. » ! J’ai eu trois enfants et j’ai divorcé il y a 11 ans. Cela a été une expérience difficile, mon petit-fils, qui avait 2 ans à ce moment, m’a aidée à tenir le coup.

J’ai éduqué mes enfants avec des traces de l’éducation que j’ai reçue de ma maman. Elle nous a inculqué la loyauté, l’obéissance et la tendresse. Et moi j’y ai rajouté le dialogue, l’ambition, le courage et la ténacité. J’ai appris à ma fille à être indépendante.

Je suis féministe. Certains hommes pensent encore aujourd’hui que la femme doit être à la maison. Aujourd’hui, cela reste difficile de trouver sa place en tant que femme. Je pense que c’est aussi à la femme de modifier sa façon de voir les choses. Car l’homme ne changera que quand l’éducation des hommes changera.

Travail

J’ai étudié le stylisme à la Cambre et ma première expérience professionnelle a été de travailler chez Pierre Cardin à Paris pendant 8 ans. J’ai beaucoup apprécié cette expérience, j’ai beaucoup appris de mes patrons et de ma clientèle. J’ai appris à avoir de l’estime pour moi et de la valeur. Un jour, mon patron m’a dit : « Tu peux défiler avec ce que tu as créé » ! Mon premier salaire, je l’ai offert à ma famille. Je leur ramenais des cadeaux de Paris. Je défilais entre Paris, New York et l’Allemagne.

Je n’ai pas voulu avoir des enfants tout de suite pour pouvoir travailler. Ensuite quand je suis devenue mère, je me suis retrouvée avec le plus beau métier du monde sur les bras. J’ai dû arrêter de travailler, ce n’était pas évident, car je n’avais pas de salaire et mon mari était difficile. J’ai vécu cette première année comme si j’étais dans une prison, je n’étais pas heureuse.

J’ai rencontré ensuite un prêtre et j’ai travaillé bénévolement dans une boutique de 2e main, je décorais les vitrines. Puis, je me suis proposée comme catéchiste pour la préparation des communions. Ensuite j’ai fait un bénévolat comme bibliothécaire.

Après cela, j’ai commencé à créer des bijoux, j’ai été engagée dans un magasin et j’ai repris mon indépendance financière. Par la suite, j’ai travaillé à Forest National, comme cheffe habilleuse. J’ai habillé Patricia Kaas, Michel Sardou, Johnny Hallyday… Mon mari était jaloux, il n’a pas accepté. J’ai aussi été figurante dans des films au cinéma. Cela m’arrive encore parfois.

Entre ici et là-bas

Je suis née au Congo, j’ai connu un entourage accueillant et je me suis sentie dans ce pays comme si c’était le mien. Je vivais parmi et avec les Congolais, j’allais jouer dans des huttes avec les enfants de nos voisins, j’ai mangé des insectes. À cette époque, on ne parlait pas beaucoup le français à la maison, car mes parents voulaient que nous parlions notre langue maternelle à la maison.

Quand je suis arrivée en Belgique , ma mère m’a inscrite au Sacré-Cœur de Lindthout. Et là, j’ai ressenti de la discrimination, car je roulais les r et j’étais tchécoslovaque. J’en ai souffert jusqu’à mes 16 ans et j’ai dû prendre des cours de diction. Après en tant qu’adolescente, j’ai fait « la révolution » et je me suis affirmée.

L’ouverture des frontières des pays de l’Est, la fin du Rideau de fer en 1989, suivie de la chute du mur de Berlin m’ont beaucoup marquée. Cela m’a fait beaucoup de bien, car j’ai pu aller voir ma famille et inversement. C’était un bonheur ! Avant cela, la communication était coupée aussi. Quand ma famille était en Tchécoslovaquie, on ne savait pas téléphoner. Il n’y avait pas de fax et pas de télégramme ou alors ils n’arrivaient pas. Aujourd’hui, l’évolution de la technologie avec Skype et WhatsApp a permis d’ouvrir la communication.

Quand je retourne en Tchécoslovaquie, je me sens chez moi, je me sens Slave, c’est viscéral, ma langue revient. Je me sens accueillie autrement qu’en Belgique. Les Belges n’ont pas été accueillants, ils ont été froids. Quand je suis arrivée, j’étais réfugiée politique et ma mère ne voulait pas que je parle tchèque, car elle disait que les Russes viendraient nous rechercher.

La Belgique est un beau pays, mais je ne me sens pas à ma place. Mon enfant intérieur n’est pas belge, même si je le suis sur papier. J’ai toujours eu une peur d’être mal accueillie ou mal perçue parmi les étrangers de Belgique. J’ai des peurs ancrées dans mon enfance. De plus j’ai été agressée deux fois par des personnes étrangères. Une des raisons pour lesquelles je viens ici, c’est pour dépasser des traumatismes et des préjugés.

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