Extrait de "Nous racontons notre vie" 2022-23

Enfance et adolescence

Je suis née le 10 juillet 1979, en Guinée. Je viens d’une famille de cultivateurs. Ma mère et moi avons beaucoup travaillé dans la culture des fruits et l’élevage d’animaux. Mon père, lui, enseignait le Coran aux garçons du village chez nous, à la maison.

Ma mère, mon grand frère et moi travaillions toute la journée du matin au soir. C’était fatigant. On commençait la journée par boire notre café, manger du pain. Ensuite, on prenait les moutons et les chèvres vers la forêt. Parfois, il nous arrivait de rencontrer des problèmes avec les moutons mâles, ils s’égaraient. Le soir à notre retour, mon père vérifiait que tous les animaux étaient rentrés. Il donnait un nom à chaque animal et leur parlait comme s’il parlait à des humains.

J’aimais m’occuper des animaux et de la culture des fruits, car il n’y avait pas d’autres choses à faire. Vu que j’étais une fille, je ne pouvais pas aller à l’école. Je devais obéir à mon père. Il n’a pas voulu que j’apprenne à lire et écrire. C’était pareil pour toutes les filles du village, les femmes devaient s’occuper des enfants et du travail dans les champs.

Famille

Je n’ai pas connu mes grands-parents. J’ai posé des questions à leur sujet à ma mère. Elle m’a dit que tout le monde était décédé.

Un jour, en nettoyant la maison, j’ai trouvé une photo et ma mère m’a dit que c’était sa mère. Je me suis dit : « Ce n’est pas vrai, elle est blanche ». Elle avait la peau brun clair, elle était jolie. Elle avait de longs cheveux lisses.

J’ai demandé à ma mère de me raconter son histoire. Elle m’a répondu : « Toi, tu parles trop, les enfants ne parlent pas comme ça ». J’ai pris mon courage pour lui demander de me raconter, je voulais savoir. Je voyais mes voisins jouer avec leurs grands-parents. Je les voyais rire, courir, se chatouiller. J’ai ressenti un manque.

Finalement, ma mère m’a raconté. Mon grand-père était intelligent, mais dans le village, on n’aimait pas les gens intelligents. Les villageois craignaient qu’ils prennent le pouvoir et qu’ils dirigent tout le village. Alors, à la mort de ses parents, mon grand-père a changé de village. Il est parti dans un autre village où les gens ont la peau claire. Il a rencontré ma grand-mère et s’est marié avec elle.

Ce en quoi je crois

Mes parents m’ont appris la religion. Chaque matin, mon père partait à la mosquée, car il était imam. Il nous réveillait tôt pour prier. Les hommes pouvaient toucher le Coran, mais pas les femmes, car c’était impur. Alors mon père recopiait le Coran pour qu’on puisse l’apprendre à la maison. Mon père nous racontait des histoires du Coran à la maison avec d’autres femmes, des voisines. J’ai une amie qui connaît mieux le Coran que moi, mais elle n’est pas bien dans son cœur. Connaître le Coran ne suffit pas, il faut appliquer ce qu’on apprend pour avoir le cœur en paix.

Être femme

Quand je suis arrivée à l’âge de me marier, mon père ne me laissait pas sortir de peur que je parle et que je rencontre des garçons. Ma mère attendait alors que mon père s’endorme dans sa chambre et elle m’aidait à sortir en cachette. Je mettais toutes mes affaires dans mon sac et je partais. Un soir, j’ai été invitée à un mariage et, lors de cette soirée, j’ai rencontré un homme dont je suis tombée amoureuse. Il a voulu m’épouser. Il est venu se présenter à mon père. Mais mon père a refusé, car il n’était pas originaire du même village que nous.

Ce jour-là, mon père m’a dit : « Tu veux te marier ? Eh bien, je vais te donner un mari ! ». Je voulais choisir moi-même, mais il a refusé. C’est lui qui m’a imposé mon époux, c’était mon cousin, il avait 9 ans, et moi 10 ans. Ça a été un mariage forcé. Il m’a dit : « si tu ne te maries pas, ta mère devra quitter la maison ». Je n’ai pas discuté. J’ai été excisée. Cela a été très douloureux.

Enfant, mon mari a été élevé par mon père. Donc, même dans notre relation de mariage, mon père a été très présent. Mon père était violent avec moi. Il m’attachait parfois à une chaise. J’étais tellement fatiguée de ma vie, je n’avais plus de force, je voulais protéger ma fille de l’excision. C’est pour ça que j’ai voulu venir en Belgique. Cela fait 4 ans que je suis ici avec ma famille.

J’ai décidé que je ne commettrais pas la même erreur avec mes enfants. J’ai une fille de 19 ans et je lui laisse faire ses choix pour sa vie. Je communique beaucoup avec mes enfants. Je trouve que les mères aiment plus leurs enfants que les pères.

Entre ici et là-bas

Je suis en Belgique depuis 2018. Je suis arrivée un matin avec Binta, ma fille de 3 ans et une valise. Cela a été très difficile, car je ne parlais pas la langue. Un ami de mon mari m’a accompagnée à l’Office des étrangers. Ils m’ont donné un document avec l’adresse d’un centre en Flandre en attendant une convocation. J’ai dû y aller seule. Je ne savais ni lire ni parler et je ne comprenais pas ce qu’on me disait. La poignée de ma valise s’est cassée, je l’ai portée sur ma tête, les gens me regardaient. J’ai fini par trouver le centre avec l’aide de personnes croisées dans la rue. J’y suis restée 5 mois. Cela a été dur. J’étais fatiguée, je pleurais tout le temps, car je pensais à mes autres enfants restés en Guinée.

Ensuite, j’ai été envoyée dans une maison sociale à Bruxelles. Par la suite, je suis arrivée à Schaerbeek. Je me suis inscrite pour suivre des cours de français. Aujourd’hui, ça va mieux. Je n’ai pas la même vie que celle que j’avais en Guinée. Je pense souvent à ma mère, elle me manque. J’ai demandé un regroupement familial et aujourd’hui, mon mari et mes 4 enfants m’ont rejointe.

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