Extrait de "Nous racontons notre vie" 2022-23

Enfance

Je m’appelle Aïcha, c’est le prénom de la grande sœur de mon père. Dans mon pays, on donne le prénom des anciens. Je suis guinéenne. Je suis née en 1985 en Sierra Leone. Ma grand-mère maternelle a eu 7 enfants et on vivait tous avec elle, sauf mon père qui habitait en Guinée, car il avait une autre femme là-bas. Il faisait seulement des allers-retours une fois par an. Ma grand-mère maternelle était commerçante, elle avait un restaurant connu dans tout le pays. Ma mère est devenue aussi commerçante. Elle vendait des assiettes, des verres, toutes sortes de vaisselles.
C’est ma grand-mère qui m’a appris à faire du commerce. Elle m’a appris beaucoup de choses sur le métier. Quand les gens me voyaient derrière la caisse, ils disaient à ma grand-mère : « Mais ils vont la voler ! ». Et ma grand-mère répondait toujours : « J’ai confiance en elle ». J’avais le sens du commerce. Mon grand-père m’a toujours félicitée parce que j’étais meilleure que les garçons.

Ensuite, la guerre est arrivée. Une nuit, les rebelles ont attaqué notre pays. Ma grand-mère a ramassé ce qu’elle pouvait et nous sommes partis vers la frontière. Ce matin-là, nous avons quitté le pays et nous sommes allés rejoindre mon père en Guinée. Nous avons tout perdu, on n’avait plus rien. C’était dur. En Guinée, ma mère a relancé un commerce de vaisselle.

Il y a des choses dont nos parents ne nous parlent pas. Il y a des choses qui ne se racontent pas. Il y a des sujets tabous. Et quand un adulte parle, on l’écoute, on ne peut pas parler et poser des questions. Dans ma famille, il y a aussi peu de temps pour communiquer.

Être femme

À 9 ans, je suis tombée amoureuse d’un garçon dont le père était très riche. Mais ça ne rentrait pas dans la balance, car pour moi, le plus important, c’est qu’il était beau. Comme nos parents se connaissaient, j’avais l’occasion d’aller chez lui. J’inventais toujours un prétexte pour pouvoir aller le voir. Sa maman et sa famille m’appréciaient beaucoup, car j’étais très sociable.

Un jour, je suis allée parler à sa sœur pour lui demander si nous pouvions organiser une fête pour le 31 décembre. Nous avons cotisé et organisé le tout. Ce soir-là, il portait un pantalon noir et un beau tee-shirt rouge Lacoste. Moi, je portais une robe traditionnelle et quand je l’ai vu, j’ai couru chez moi me maquiller et mettre une robe beaucoup plus moderne. Il m’a invitée à danser, on a discuté et il m’a raccompagnée chez moi.

Aujourd’hui, il vit en France, je ne pense plus à lui, c’était un amour de jeunesse.

Je me suis mariée jeune, en 1999, j’avais 14 ans. Mon mari est décédé d’un arrêt cardiaque. J’avais un enfant d’un an, Mamadou. Ça a été une période très difficile pour moi. Je suis retournée chez ma famille et j’ai fait un deuil de 4 mois et 10 jours. Je n’ai pas voulu me remarier tout de suite, je voulais attendre et choisir quelqu’un de bien. Il y a eu un conflit entre la famille de mon mari et ma famille. Je suis partie alors de chez mes parents et j’ai cherché du travail pour subvenir aux besoins de mon fils. J’ai loué un appartement. J’ai ensuite trouvé du travail dans une société d’alimentation, chez un ami de la famille.

Je me demande si les hommes font vraiment attention à leurs femmes, à leur fatigue physique et mentale, à leur épanouissement, à leur bien-être. Est-ce qu’ils se rendent compte de tout le travail qu’une femme fait à la maison et à l’extérieur ? Est-ce qu’ils se sentent concernés ?

Entre ici et là-bas

J’ai fait une demande d’aide à cause du conflit entre la famille de mon mari décédé et la mienne.

Je suis arrivée en Belgique seule en 2011, j’ai dû me débrouiller pour trouver un logement et m’adapter. À mon arrivée, je n’ai pas fréquenté ma communauté, j’ai plutôt côtoyé des personnes d’origines différentes pour parler et pratiquer le français. Ça n’a pas été facile pour moi, mais tout s’est bien passé. Je suis très contente d’être venue en Belgique. Ici, j’ai trouvé mon bonheur : j’ai rencontré mon mari guinéen ici en Belgique avec qui j’ai eu trois filles. J’ai fait aussi venir mon garçon de mon premier mariage. Je suis contente d’être ici aujourd’hui parmi vous et pouvoir m’exprimer dans la même langue que vous et comprendre ce que vous dites. C’est très important pour moi.

J’ai suivi mes premiers cours de français au GAFFI. J’ai appris à lire, à écrire. Maintenant, je suis des cours en promotion sociale. La Guinée me manque. Ma mère et mon père me manquent. Pour le moment, je ne peux pas retourner au pays parce que j’ai un statut de réfugiée et j’ai demandé un statut de protection contre mon ex-belle famille. J’ai entamé les démarches pour demander la nationalité belge.

En arrivant en Belgique, j’ai évolué, j’ai grandi.

Un rêve ?

Lorsque j’étais petite, je rêvais d’être indépendante et responsable de ma famille. J’ai cherché très vite du travail. Je me suis battue pour voir ma mère contente. Voir ma mère tranquille et heureuse était mon seul objectif. Je suis une chef de famille grâce à la bénédiction de mes parents. Je n’attends de reconnaissance de personne, je fais mon devoir et je me sens bien avec cela, mon esprit est tranquille. C’est Dieu qui m’a donné ce bagage, alors je le fais. Aujourd’hui je rêve de construire une maison pour ma mère.

Je conseille toujours à ma sœur de ne pas attendre quelque chose de quelqu’un. Il faut se battre pour obtenir ce qu’on veut. Moi, je me suis bâtie toute seule et j’en suis fière.

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