1994 : nous sommes une jeune famille bruxelloise comme beaucoup d’autres. Papa instituteur, maman bibliothécaire, deux enfants, Antoine, 4 ans, Coline, 2 ans, et un troisième, Baptiste ou Louise, on ne sait pas encore, on l’attend dans quelques mois. Nous avons décidé de vivre en ville. L’idée d’habiter loin et de faire de longs trajets, en voiture ou en transports en commun pour rejoindre le boulot et l’école nous semblait insupportable.

Comme tous nos amis et connaissances, nous possédons une voiture, mais, contrairement à beaucoup d’autres, nous l’utilisons peu. A cela, plusieurs raisons, certaines militantes, d’autres plus pragmatiques.

Au niveau militant d’abord : nous voulons pour nos enfants un environnement urbain, mais où ils puissent vivre dans le calme et sans pollution. Dans les années 90, le tout à la voiture est encore tristement la règle, et nous voulons participer au changement. Mon mari est membre actif du Gracq, utilise le vélo en presque toutes circonstances, ce qui à cette époque est héroïque ou kamikaze, tant rien ou presque n’est fait en termes d’aménagements cyclables. Moi, je n’ai pas le tempérament assez combatif pour affronter au quotidien les automobilistes exaspérés de se voir freinés dans leur élan. J’ai un souvenir durable de cette bordée d’injures dont nous a abreuvé un conducteur lorsque nous roulions à deux de front comme la loi nous y autorisait, avenue général Jacques, à l’heure de pointe. Pour moi, la militance a ses limites, la mienne sera d’aller à pied et en tram ! Le quartier où nous vivons, proche de la bibliothèque où je travaille, a déjà été choisi dans cette optique de mobilité douce. Je suis au travail à pied en 15 minutes. L’école des enfants a été choisie, pour sa pédagogie bien sûr, mais aussi pour sa proximité.

D’autres raisons plus terre à terre nous poussent à utiliser le moins possible notre voiture : même si c’est une sympathique deux chevaux rouge qui fait presque partie de la famille, elle coûte cher dans notre budget plus que serré. Mais pourrions-nous nous en passer, alors que nos familles habitent en province, que beaucoup de nos amis quittent la ville et vont s’établir à Houtsiplou les berdouilles ? Comment partir en vacances ? Et en cas d’urgence, comment faire sans voiture ?

Bref, c’est un projet de la ligue des familles qui sera pour nous le déclic : Un mois sans voiture ! Sous ce slogan, et dans le cadre d’un colloque qu’elle organise, la ligue propose à des automobilistes bruxellois de se passer de leur voiture pendant un mois et de témoigner des avantages et inconvénients de la chose. Notre inscription est retenue, parmi d’autres, représentant la diversité des familles bruxelloises : une famille avec ados, une femme seule, un couple de retraités, une autre famille avec enfants…Devant les caméras du JT, Antoine est très fier de remettre les clés de notre auto aux organisateurs !

L’expérience n’a pas été pour nous très compliquée, puisque beaucoup de choses avaient déjà été mises en place, et nous a permis de réfléchir à ce qui justement nous paraissait encore difficile : nous avons découvert les livraisons des supermarchés, nous avons appris à ne plus faire de déplacements impulsifs, mais à les planifier, et nous avons calculé que prendre un taxi de temps en temps n’était pas si couteux au vu des économies réalisées en vendant la voiture… ce que nous avons fait, d’ailleurs, à la fin de l’expérience.

Ce que nous n’avions pas prévu, par contre, c’est le relais médiatique autour de l’opération. Les JT de la RTBF et de la VRT nous ont interviewés, et l’émission Autant Savoir a consacré un numéro à ce sujet. Ce fut d’ailleurs un samedi mouvementé ! Les journalistes, cameramen et preneurs de son ont débarqué chez nous à la table du petit déjeuner, ensuite comme, budget oblige, ils n’avaient que 3 heures à nous consacrer pour réaliser des images qui illustrent leur interview, ils nous ont emmenés… en voiture ! … au marché, puis à la gare pour qu’on y fasse semblant de prendre le train, puis, retour à la maison, j’ai préparé les enfants pour aller à l’école en tram, petit cartable sur le dos, ce qui a fait dire à Antoine : “mais Maman y a pas école aujourd’hui !”

Les réactions ont été dans l’ensemble très positives, même si dans le quartier, on nous a vite surnommés avec un rien de raillerie les petits écolos de la rue… Ce qui m’a davantage surprise, c’est le nombre de personnes admiratives qui sont venus me dire “c’est bien ce que vous faîtes, mais moi je ne pourrais pas, parce que… “avançant chacun des arguments très valables, mais comme s’ils avaient besoin de s’excuser auprès de moi !

Ceci étant, je me plais à penser que cette expérience finalement assez festive et drôle a permis à certains de réfléchir à leur propre mobilité …C’était 6 ans avant la première journée sans voiture, le 22 septembre 2000 (même s’il y avait déjà eu quelques dimanches sans voiture lors de la crise pétrolière dans les années 70, je me souviens encore qu’à cette époque j’avais fait du patin à roulettes sur la chaussée !). On ne parlait pas encore d’urgence climatique, ou si peu, et 70 % de l’espace public était alors occupé par la voiture.

Trente ans plus tard, les choses bougent, bien sûr, les circonstances l’exigent, des politiques se mettent en place, parfois dans le chaos, mais on avance… Il faut du temps pour que les gens acceptent ce changement, et trop souvent les politiques reculent, rivés à leurs scores électoraux parce que trop souvent c’est la seule chose qui compte… Je me souviens du tollé lorsque fut décidé le site propre pour le tram dans le goulet Louise. Aujourd’hui, qui s’en souvient ?

Il paraît que d’ici 2030, en Belgique, les déplacements cyclistes et à pied auront augmenté de 70% ! Je suis contente d’apporter ma petite pierre à l’édifice d’une mobilité apaisée pour tous. J’espère juste que les cyclistes échapperont au syndrome “je suis le roi de la route” et respecteront les piétons… et si nécessaire, je militerai à l’association “Tous à pied” !

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

s’inscriremot de passe oublié ?