Alors que l’heure de la retraite a sonné, que mes enfants ont quitté la maison, je retrouve un espace pour moi-même et je porte un regard sur ma vie.
J’ai quelquefois eu l’impression d’être à mille lieues de ce que devait être ma vie, d’avoir fait de mauvais choix et, en même temps, j’ai souvent eu la conviction qu’une partie de moi savait où elle allait, que ma destination était depuis toujours fixée. Même lorsque je me sentais égarée, perdue, mon instinct venait à mon secours pour me rassurer et me recentrer. Je suis convaincue que les personnes et les situations qui se sont trouvées sur mon chemin étaient là pour me guider et me montrer la voix à emprunter. J’ai souvent fait confiance à la vie.
Ma mère était croyante mais ne fréquentait pas beaucoup l’église. J’ai été baptisée, j’ai suivi le catéchisme, j’ai fait ma communion solennelle et j’allais à la messe tous les dimanches. Un jour, jeune adolescente, au lieu de franchir les portes de l’église je suis partie me promener dans les champs et sur les petits chemins de campagne. C’est là que je me sentais en communion avec moi-même, au milieu de la nature. Evidemment, dans un petit village, ce genre de comportement ne reste pas longtemps inaperçu et il est rapidement revenu aux oreilles de ma mère que je désertais la messe.
J’ai baptisé mon premier enfant mais sans grande conviction, plus pour faire comme tout le monde et ne pas me mettre en défaut par rapport à ce qu’on attendait de moi. Mais lors de la célébration je me suis sentie très mal lorsque j’ai dû, à haute voix, affirmer ma croyance en Dieu. J’étais en porte à faux avec ce que je ressentais au plus profond de moi. Ma voix s’étranglait lorsque, dans cette grande église, je devais répondre « Je crois » aux affirmations prononcées par le prêtre. Par la suite plus aucun de mes enfants n’a été baptisé.
J’ai rarement parlé de religion avec eux, bien qu’à l’école j’ai toujours choisi le cours de religion catholique pour eux. Lorsqu’ils me posaient des questions, mes réponses étaient très évasives. Je leur ai inculqué ce qui était important pour moi, particulièrement le respect des autres et de soi. Mais je ne suis pas arrivée à leur expliquer ce en quoi je croyais, c’était trop flou pour que je trouve les mots.
Je vis à Bruxelles, capitale multiculturelle, nous sommes en 2004, ma fille a 19 ans, elle m’annonce qu’elle s’est convertie à l’Islam. Quelques temps plus tard se sera le tour de son frère. Je me retrouve alors devant deux jeunes adultes engagés fermement dans une religion que je ne connais pas mais qui, au comportement de mes enfants, me semble d’emblée austère. Port du voile pour ma fille, abandon de ses études, les nombreux voyages et retraites de mon fils, plus de viande non halal et même le changement officiel du prénom de mon fils qui choisira de s’appeler Issa, nom arabe que l’on peut traduire par Jésus.
Je ne succombe pas à la panique, j’écoute, j’essaie de comprendre et entretiens le dialogue, prudemment, à petits pas. J’essaie de passer au-dessus des préjugés, du regard des autres, mais je souffre de ce qui me parait être un rejet de mes valeurs et de mon éducation.
Avec beaucoup de patience, beaucoup d’amour et d’abnégation, petit à petit au fil dans ans, les angles vont s’arrondir. Leurs interdits deviennent moins rigoureux. Ils sont guidés par leur religion et moi par mes valeurs mais les unes ne sont pas contre les autres.
J’ai réussi à ce que mes cinq enfants musulmans ou non croyants continuent à se parler et s’écouter, à échanger leurs points de vue, à se soutenir mutuellement, dans le respect. On partage beaucoup de moments où chacun est soucieux de l’autre et où l’on rit et s’amuse sans porter de jugement.
La vie m’a appris qu’il y a un temps pour toute chose et qu’il faut accueillir les moments bons et moins bons avec confiance et acceptation. J’essaie de garder le juste équilibre entre ce que la vie me donne et mes aspirations.