Ma fratrie est composée de 8 filles et 3 garçons, répartis de telle manière que les garçons s’en sont trouvés bien entourés.
2 filles- 1 garçon - 2 filles - 1 garçon - 2 filles - 1 garçon - 2 filles
Les garçons sont les rois, les filles « tout naturellement » à l’époque, sont censés donner un coup de main dans le ménage. Je n’ai aucun souvenir d’un de mes frères faisant la vaisselle ou son lit. Alors que j’ai maintes anecdotes relatant la dynamique des filles autour du bassin à vaisselle. Cette discrimination s’étend aux tâches plus lourdes, telles que le grand nettoyage de printemps, le jardinage ou le tapissage des pièces de la maison, la peinture des boiseries.
Seul, Philippe, le garçon du milieu, enfant charnière entre les grands et les petits, a pu prendre sa part de travail ménager et s’est vite révélé être un excellent bricoleur.
Mes 3 frères ont épousé des pros du ménage, régentes ménagères ou assimilées, cordons bleus hors pair. Que n’a-t-il pas fallu pour nous remplacer ?! Curieusement, dans leur ménage, mes 3 frères sont devenus de fins cuisiniers.
Arrivant la dixième dans cette famille pleine de fille, j’ai quelque peu échappé à ce rôle préétabli d’aide-ménagère. Le prétexte de mes études était parfois le bienvenu. Et il y avait toujours une fille plus âgée pour faire les choses mieux et plus vite que moi. Je n’ai pas vraiment cherché à devenir une experte, à l’exception du rangement, tâche qui m’apaise et m’amuse. En rangeant les objets, je me fais une place aussi.
C’est dans ce contexte familial des années 40, 50 que mon féminisme éclot. Par jalousie sans doute, sentiment d’injustice surtout face aux avantages, au respect aussi dont bénéficient mes frères. Eux sont reconnus pour eux-mêmes ; nous, les filles nous sommes utiles et considérées pour ce que nous faisons. Leur vie de loisirs est plus fournie que la nôtre. Ado, mon frère de 2 ans mon aîné est inscrit au club de tennis, de hockey et fréquente un groupe de spéléo. Ma plus jeune soeur et moi allons au « bassin de natation » et jouons « à la baballe » dans la cour, avec notre raquette de tennis de récup.
J’ai hâte de quitter la famille, de vivre enfin « ma vie » ; comme si, jusque-là, je vivais entre parenthèses. Le départ le plus simple c’est encore de se marier ! Ça tombe bien, je connais un beau garçon qui vit la même situation … J’ai remarqué que ma mère, une fois ses filles mariées, les respecte plus, ne leur fait plus de remarques ; une distance s’établit, donnant l’impression que ses filles ne lui appartiennent plus … peut-être appartiennent-elles à leur mari ? J’ai réellement senti cette différence après notre mariage. « Femme mariée » : ce nouveau statut m’apporte une première assurance . Mais ce sont mes maternités, ensuite mon travail, qui m’épanouissent.
Nos modèles familiaux à propos de rôles à endosser ne nous ont pas vraiment convenu. Autant mon mari que moi-même souhaitons pour nos enfants une vie plus adaptée à chacun, hors projet « genré ». Nous en avons l’idée, mais ne sommes pas acharnés à la défendre tout le temps. Et c’est sans compter sur les grands-parents, paternels surtout, qui continuent à taper sur le même clou : « Et ça va, le travail de François ? parce que le tien, ça ne compte pas » ; notre premier petit garçon devient bien malgré lui « l’aîné » d’une flopée de cousins ; comme son père, le voilà prié de donner l’exemple.
La littérature pour enfants des années 70 fait un bond en avant, merci Mai 68, et nous aide à proposer d’autres critères, d’autres choix ; mais le contexte social, scolaire, encore bien formaté, s’invite aussi dans les lettres de Saint-Nicolas, sexualisant les nouveaux jouets… Je confesse cependant que j’ai eu du plaisir à offrir des poupées à mes filles et petites filles …
Une anecdote : vers 2 ans, je propose à mon premier enfant, Antoine, une poupée en tissu fabriquée de mes propres mains ! Aussitôt offerte, je lui demande, « et comment vas-tu l’appeler, ta poupée ? » … il me regarde, complètement perplexe : « eh bien, poupée ! Camion, c’est camion, voiture, c’est voiture … poupée, c’est poupée ! » Je me suis sentie bloquée dans mon élan de projeter sur lui toute la symbolique maternelle de mon univers de petite fille …
Mais au fait, que pensent nos enfants, aujourd’hui de tout cela ?