Extrait de "Nous racontons notre vie" 2020-21

Enfance et adolescence

Je suis née en 1958 à Tanger. J’ai vécu mon enfance dans un village du Maroc jusqu’à l’âge de 6 ans. Mais je ne me souviens pas de grand-chose. On allait parfois chez une tante dans un autre village. Alors, on jouait à se cacher dans les cultures, les hautes herbes. Ma mère était seule avec 4 enfants. On avait un âne dont je devais m’occuper avec mon grand frère.

Mon papa ne vivait pas avec nous car il travaillait loin. Un jour, les gens du village nous ont dit : ton papa est revenu ! J’étais super contente. Mon père m’avait ramené un cadeau : une robe ! En ce moment-là il y avait de la neige, mais j’étais tellement contente de ma robe que je suis sortie comme ça pour montrer ma joie.

Quand j’avais 6 ans, on est allés en Belgique rejoindre mon papa qui travaillait là. Quand on est partis du Maroc, je croyais qu’on reviendrait bientôt. Alors j’ai semé des graines de blé en pensant « quand je reviendrai, elles auront poussé ». Mais je n’y suis plus jamais retournée.

En arrivant en Belgique, on habitait à Schaerbeek. Je partais à l’école avec mes frères, mais nous étions dans 2 bâtiments séparés. Ma première année primaire, je l’ai ratée car je ne parlais pas le français. J’aimais bien l’école. Je faisais au mieux mais comme j’étais la seule fille à la maison, je devais m’occuper de mes frères. J’en ai eu 6 ! Je les accompagnais chez le médecin, partout où il fallait. Je leur racontais des histoires. C’est pour ça que maintenant ils me disent que je suis leur deuxième maman. Plusieurs de mes frères sont aujourd’hui décédés, un autre a disparu. C’est pour ça que je n’ai pas voulu déménager de rue ; s’il revient il me retrouvera.

Être femme

Mon mariage a été arrangé. Mon père travaillait pour la famille de mon mari. Lorsque j’ai eu 13 ans, mon futur mari a décidé de se marier avec moi. Il avait 14 ans de plus que moi. Il a parlé avec ma mère et apporté deux cônes en sucre, signe d’une demande en mariage. Moi je ne faisais pas attention. Ma mère a dit qu’il fallait attendre trois ans.

Quand j’ai eu 16 ans il a fait sa demande. Ce n’était pas mon choix. Mon père n’a pas pu refuser car il travaillait pour eux. Moi je disais : je ne veux pas me marier, je veux continuer mes études. J’avais un examen à passer le lendemain et je l’ai réussi mais je n’ai pas continué. C’était en 1973.

J’ai une cousine qui a été mariée de manière arrangée en Belgique et elle devait tout faire à la maison de sa belle-mère. Moi je n’ai pas eu de soucis de belle-mère, je l’ai vue 2 fois seulement. Quand nous sommes allés au Maroc, pour rencontrer la famille de mon mari, il m’a dit : il faut mettre le foulard. Je ne parlais pas car je ne connaissais personne là. En plus on me parlait en berbère mais ce n’était pas le même que celui que mes parents m’avaient appris. Sa famille a cru que j’étais muette !

Je connais mal le Maroc, je n’y suis allée que 2 fois. J’aimerais le visiter. Mais je ne peux pas voyager au Maroc seule, en tant que femme. Seule je suis mal à l’aise, je ne connais rien, je n’ai pas l’habitude.

Mon mari est décédé il y a 15 ans. Je suis fière aujourd’hui de pouvoir me débrouiller seule.

Religion

Enfant, je voyais prier mes parents mais eux étaient analphabètes donc ils ne savaient pas me transmettre les dogmes de la religion. Ils apprenaient ce que les autres leur disaient. Je n’ai commencé à prier que quand je me suis mariée. Mon mari allait à la mosquée, il faisait ses prières, il les chantait. Et donc moi dans ma cuisine je chantais les prières pour les retenir. J’étais jeune, je voulais apprendre l’arabe pour comprendre par moi-même mais cela n’a pas été possible. Plus tard je me suis intéressée à l’islam, j’ai lu et j’ai compris qu’il y avait des courants différents dans la religion musulmane.

Travailler, être utile à la société

Quand je me suis mariée, j’aurais aimé continuer à travailler mais ma famille et mon mari ne voulaient pas. Mon mari craignait peut-être que sa femme devienne trop instruite. Pourtant il avait besoin de mon aide pour les papiers car lui n’avait jamais été à l’école ! J’ai aussi voulu faire des études à la maison mais mon mari a refusé. Alors je lisais beaucoup.

Je suis devenue moins timide quand j’ai proposé à ma fille ainée d’aller voir un psychiatre. Elle n’allait pas bien mais elle ne voulait pas y aller. Du coup, c’est moi qui y suis allée ! Et j’ai commencé à évoluer, à plus penser à moi. Car ma vie c’était vivre pour les autres.

Après, je me suis beaucoup occupée de ma petite-fille. Je l’amenais à l’école néerlandophone et là j’ai fait connaissance avec les mamans. On donnait des cours de néerlandais pour les mamans, j’y suis allée. Aujourd’hui, je vais à l’asbl la Rue, à Molenbeek où je rencontre beaucoup de personnes. Toutes ces expériences m’ont amenée à m’ouvrir plus, à oser prendre la parole Le parcours et à m’occuper plus de moi. Mais je reste toujours disponible pour les autres.

J’aime faire connaître la nature aux enfants, j’ai toujours eu la main verte. Je participe à un jardin collectif rue des 4 Vents. On cultive, on sème avec les enfants du quartier. Tout est bio. Quand j’étais jeune je rêvais d’investir dans un verger. Et de partager avec tout le monde. Donc les jardins collectifs ça ressemble un peu à mon rêve.

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