1960, j’ai bientôt 6 ans. J’entre en première année à la grande école. C’est un grand événement. Maman a tout préparé. Un plumier avec une gomme et un taille-crayon. J’ai reçu une boite de crayons de couleur et il ne faudra rien perdre. Je porte une robe bleu-marine, comme les autres petites filles. En tissu très solide. C’est la couturière du village qui a fabriqué toutes les petites robes parce que c’est bien trop compliqué d’aller en ville pour l’acheter. Il est prévu que je mette la même robe tous les jours de l’année scolaire.
Je fréquente une petite école francophone de campagne. Mais nous habitons la Flandre. Une école dans les bois, avec une immense cour de récréation sous les arbres, un grand jardin, des fleurs, un potager. Un petit paradis où on peut jouer cache-cache, ou maison. Il y a même une grande mare qui gèle en hiver et sur laquelle on apprend à patiner.
Un petit paradis.
En ce premier jour d’école, maman et papa m’ont fait beaucoup de recommandations. Je dois être très polie, bien écouter, ne pas bavarder et ramener un très beau bulletin. Et tous les enfants sont sages, personne n’ose bouger. L’institutrice est très gentille mais très sévère. On obéit parce qu’à cette époque, si on nous dit d’être sage et appliquée, on n’oserait pas ne pas le faire. D’ailleurs, l’institutrice nous récompense avec des bons points. Ce sont des petits papiers avec un petit cachet. Parfois un enfant n’obéit pas. Avec à la suite, une punition : Aller dans le coin, faire des lignes d’écriture. Je n’ai jamais vu de bonnet d’âne. Je n’ai jamais été frappée sur les mains. Mais je sais que ça existait.
Dès le 1er jour, nous allons apprendre à lire et écrire. Comme les petits enfants aujourd’hui. Sauf que l’écriture était bien plus importante. Nous devions avoir une belle écriture, bien lisible, sans ratures, sans fautes et surtout sans taches. C’était mon grand problème. Même en 4ème, j’avais 2 heures de leçon d’écriture chaque semaine.
Dans chaque pupitre, il y avait un récipient en porcelaine. Un bon élève (qui ne renverse pas) venait verser un peu d’encre dans l’encrier. Après je devais tremper ma plume dans l’encre et copier mon texte ou écrire ma dictée. Malheureusement, l’encre coulait sur mon pupitre, dans mes doigts avec des taches sur la feuille. Je gommais jusqu’à faire des trous. J’avais de très mauvais points en soin.
Pourquoi devait-on bien écrire ? A cette époque, il y avait peu de téléphones. Beaucoup de communications se faisaient par lettre envoyée par la poste. Les écrits devaient donc être bien lisibles, bien nets. L’école préparait les élèves à cette correspondance qu’ils feraient souvent. Dans les dictées, on décrivait les bois, la chasse, les chants des oiseaux, les événements de la famille. Personne n’avait la télévision, donc on se racontait ce qui se passait.
En 4ème, il y avait donc comme pour vous de la grammaire, de l’orthographe ou du calcul. Mais les préoccupations des élèves et de leurs parents étaient différentes, beaucoup de parents avaient encore une ferme ou travaillaient au potager. Comme on n’allait pas souvent en ville parce que beaucoup n’avaient pas de voiture et que de plus beaucoup de familles n’étaient pas très riches, le devoir des mamans était de cuisiner, coudre les vêtements, aider au potager.
Le cours de mathématiques parlait des préoccupations quotidiennes. Il fallait pouvoir mesurer le tissu pour fabriquer un vêtement, ne pas se tromper dans les litres et les kilos pour la cuisine. On demandait aux garçons de bien calculer pour pouvoir vendre et acheter sans se faire rouler. L’école préparait les enfants à ces tâches. Les problèmes parlaient de récoltes de salade, de germination des graines, de litres de lait obtenus de la vache et revendus pour faire un bénéfice.
Un cours qui m’a causé beaucoup de problèmes, c’était la couture. En 4ème, je devais pouvoir coudre un tablier et fabriquer des sous-vêtements en tricot. Comme j’étais maladroite, j’avais de très mauvais points. En 6ème, il fallait coudre des chemises de nuit brodées. Dans le but de faire de nous de bonnes ménagères qui pourraient habiller leur famille.
Enfin une grande différence était que nous étions tous d’origine belge. Il n’y avait pas d’étrangers. En 4ème, une petite fille congolaise est venue dans notre classe. C’était très exceptionnel et toutes les classes l’ont regardée à la récréation. Il faudra attendre 1965 pour que plus d’enfants aient la télévision et découvrent la diversité des populations dans le monde.
Ma mémoire me renvoie des souvenirs heureux, et une école qui m’a interessée parce qu’elle était adaptée à l’époque que nous vivions.