Dans notre cellule de base, la gent féminine, c’est-à-dire les deux filles et moi, sommes régulièrement abordées par des inconnus-e-s, quand nous sommes seules en rue ou dans les transports. Souvent, c’est une demande de renseignements : « où se trouve tel monument ? Comment se rendre à tel endroit ? Quel bus prendre pour aller ici ou là ? ... »
Cela se produit moins souvent chez la gent masculine de notre cellule de base : Philippe, mon mari et Denis, notre fils aîné. Pour Philippe, je le comprends. Il est d’un naturel hyper méfiant et ne doit pas être d’un abord facile. Pour Denis, je ne sais pas. Peut-être que, comme d’après « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », les mâles sont-ils obnubilés par leur but ; l’endroit où arriver, l’activité à faire et se ferment-ils aux sollicitations qui ne sont pas directement liées à cette finalité ? Ils ricanent en tous cas tous les deux quand on leur raconte nos aventures, ce qu’on nous a confié, ceux qui nous ont raconté toute leur vie ou tous leurs malheurs. De là, à nous traiter de « pigeons », il n’y a qu’un pas qu’ils ont allègrement franchi.
Les filles et moi avons décidé de créer le « jeu du pigeon » pour savoir qui était la plus « pigeonne » des trois. Une feuille divisée en trois colonnes est affichée au panneau, dans l’entrée : chacune mettra une barre dans son espace respectif lorsqu’elle est abordée. De temps en temps, on ajoute un commentaire : « Et quand on m’aborde dans une autre langue, ça compte double ? Réponse : Bien essayé ! Et quand c’est à l’étranger, j’ai droit à un bonus ? Réponse : Dans tes rêves ! »
On s’est bien amusées, on a collectionné des barres et des barres et on en a conclu que nous devions avoir de bonnes têtes, avenantes, souriantes, ouvertes à l’autre et à la rencontre.
Pour ma part, je lis dans les transports. Je préfère monter dans le tram 8 pour aller en ville, c’est un trajet beaucoup plus long mais il n’y a pas de correspondance et je peux m’immerger tranquille dans mon bouquin. Un soir, alors que le tram portait encore le numéro 94, j’étais plongée dans ma lecture quand toutes les lumières se sont éteintes. J’étais arrivée au terminus de l’époque (Musée du Tram) et le chauffeur prenait sa pause avant de repartir dans l’autre sens. Ma mésaventure l’a beaucoup amusé et après m’avoir fait un peu languir, il a accepté de m’ouvrir la porte en dehors d’un arrêt réglementé.
La lecture n’empêche pas les gens de m’aborder. « Ah ! c’est beau ce qui vous lisez là ? » ou « J’ai déjà lu un livre écrit par cet auteur. » C’est souvent un prétexte pour entrer en contact, pour échanger quelques mots. Parfois, ça m’agace mais je ne le montre pas. Je me dis que je serai peut-être la seule personne qui échangera quelques banalités avec cette personne-là, ce jour-là. Et c’est ça l’essentiel, non ?