Un samedi comme un autre...
Vers onze heures je vais à la Place Dumont à Stockel. Avenue Orban un couple nonagénaire maintient l’équilibre précaire de l’âge en faisant de la marche nordique, leurs sticks leur donnent l’assurance voulue pour progresser sans crainte. Je ne peux que les féliciter, le soupçon d’accent du mari laisse percevoir une ascendance germanique. En sortant de chez Véritas, bien que déjà le 1er février, une fillette porte encore la couronne des rois. Elle est fière d’être remarquée. Je traverse la place … je reconnais un couple connu il y a une trentaine d’années à un souper festif. Lui se caractérise par ses lunettes posées à l’extrémité d’un nez aquilin particulièrement affilé. Elle est la discrétion même. Nous célébrons le bonheur de la grand-parentalité. Puis c’est un ex-collègue qui permet de nous souvenir des disparus. Sa retraite se veut active par une formation de guide nature.
Au croisement de l’avenue d’Huart, le regard d’un homme plus âgé que moi me fait croire que nous nous connaissons … mais bien que son sourire soit affable il me dit ne même pas se souvenir de son propre nom. Une barbichette identique est notre trait commun … en plaisantant je lui dis que c’est un réfugié vénézuélien qui a taillé la mienne en Equateur il y a un mois et demi. Il trouve cela très drôle … sa fille, la cinquantaine bien engagée abrège : « Allons papa, viens ». Son Alzheimer est absolu. La sympathie étant réciproque nous nous promettons de nous saluer lors d’une prochaine rencontre. Ensuite c’est une voisine, cette fois c’est elle qui me reconnait et nous échangeons sur les aléas de la vie en appartement. Je fais changer la pile de ma montre chez l’horloger ambulant. Puis j’achète pour mon beau-fils bientôt trentenaire, le Trends-Tendance qui offre un reportage sur trente trentenaires ayant réussi … il y a Stromae et aussi Georges-Louis Bouchez … les ratés ne seraient pas exclus ? Cette diversion me permet de recroiser le couple nordique et mon amnésique qui ne m’a pas encore oublié.
A la bibliothèque de Joli-Bois, un jeune cherche la porte d’accès. Timidement il me demande si je n’étais pas bibliothécaire à l’école fondamentale à Don Bosco. Il se présente Yacine, 19 ans. Il vient s’inscrire à la bibliothèque et me remercie pour lui avoir donné le goût de la lecture. Tiens, voilà le père d’un condisciple de ma fille aînée. Son fils ingénieur civil délaisse une multinationale pour fonder une coopérative d’achats BAB’L. J’étais en début d’humanités avec son frère aîné devenu par la suite photographe d’art. On remonte à 1952…ledit frère ne se porte pas bien et termine sa vie à la Côte d’Azur, épuisé par les soins donnés à sa femme depuis sept ans.
Il me reste à déposer un livre à ma lectrice de 103 ans et à reprendre les livres lus. Son opération de la cataracte a réussi pour l’un de ses yeux. Son équatorienne dame de compagnie me fait signe qu’elle dort beaucoup … j’avais noté un très net ralentissement dans la fréquence de ses lectures au cours des derniers mois.
Nul n’est prophète en son pays, je rentre à la maison et le fil Güterman acheté chez Veritas, pourtant très approchant de l’échantillon de tissu, est rejeté avec force par ma femme prétendant la nuance rosée plutôt qu’orangée. Ah qu’il est difficile de contenter ses proches. Le même soir la robe était terminée. Tout en prétendant être allé échanger le fil, je m’aperçois que son habilité est telle qu’en aucune partie de la robe on peut noter la présence du fil … un fil blanc aurait aussi convenu !
De la bibliothèque je ramène « Qu’Allah bénisse la France » de Abd Al Malik » Ce livre m’a tenu en éveil jusqu’à 4 h du matin.
Nous sommes le premier février 2020. Ce florilège de rencontres deviendra « covidement » interdit un mois plus tard.