À l’âge de 11 ans, mes parents m’ont « placée » à la côte belge pendant un trimestre. Le but était de prendre « un bon bol d’air ». C’était recommandé par la médecine scolaire à l’époque, et j’étais un peu maigrichonne, dixit ma tante Ninnie (religieuse aux Dames de Marie), dont les paroles étaient d’Evangile pour mon père.

J’ai gardé un souvenir impérissable de ce moment, assez long tout de même. Je n’ai tout de même pas trop aimé dans l’ensemble. Mais quelques bons souvenirs surnageront. Je tiens à dire que mes parents débordaient de bonnes intentions à mon égard et que ma santé seule justifiait cette séparation.

Je me souviens de mon arrivée : un dimanche. Un couvent de sœurs, avec Mère Supérieure qui me reçut. Mon père crut bon de lui annoncer que j’étais un peu « timorée », en demandant qu’on me mette en contact avec une « amie ». Cela fut fait très gentiment, mais moi, le son du mot « timorée » me retentit encore dans la tête : je me sentis entourée d’un halo de ridicule, comme une couronne de petits lampions colorés qui clignotaient : TI MO REE …L’amie commise d’office, Suzanne, se montra gentille mais je tombai rapidement dans son indifférence. J’enviais chez elle sa beauté et son bilinguisme : Ostendaise, elle s’exprimait dans les deux langues.

A ce propos, j’ai ramené de ce séjour de bons progrès en Néerlandais : non seulement, nous suivions le programme scolaire normal de cette année avec une institutrice, mais les religieuses nous emmenaient régulièrement à la messe dans la chapelle attenante à l’école. Plus le Salut le dimanche. Je ne fus pas peu fière d’annoncer à mes parents que je récitais le « Notre Père » et le « Je Vous Salue Marie » in ’t Nederlands. Je les connais toujours. Plus les psaumes latins : Tantum ergo sacramentum. Mes parents accueillirent ceci avec quelques rires : ils n’étaient pas des grenouilles de bénitier, surtout ma mère, d’origine ouvrière : Elle préférait les Socialistes, plus larges d’esprit que les religieuses, disait-elle. Elle avait connu dans sa jeunesse d’orpheline élevée par ses grands-parents les deux sortes de colonies de vacances.

Moi, ce qui m’ennuyait, c’était les rondes et jeux interminables dans la grande cour, pendant les temps libres qui ne l’étaient pas. Pas de bricolage, ni d’activités d’éveil à cette époque. La poupée que j’avais emmenée, avec quelques vêtements, avait disparu, remisée au grenier. Pour ne pas faire de jaloux, m’expliqua-t’on. Il y avait en effet de l’inégalité flagrante à l’époque entre mes compagnes : certaines ne recevaient jamais de visites et d’autres arboraient une nouvelle robe après le départ des parents, et tournoyaient comme des paons …

Heureusement, Dieu merci, il y avait école !
Notre institutrice était de premier ordre : elle nous menait à la baguette, se démenait pour que chacun apprenne (ah oui, c’était mixte : je me souviens du beau Jean-Marie, coqueluche de nous toutes). J’appréciai particulièrement son cours d’histoire qui portait sur « le Siècle de Malheur » dans nos contrées : le XVIe et XVIIe ? Le Compromis des Nobles, les exactions du Duc d’Albe, dont le regard perçant me suit toujours. (Allez voir son portrait au Musée d’Arts anciens à Bruxelles). Mme (elle était laïque) savait jouer de l’harmonium. Encore les psaumes …

Nous allions aussi jouer à la plage et dans les dunes. Je porte toujours au poignet droit la cicatrice d’une coupure d’un éclat de verre surgi du sable. Désinfection à l’infirmerie. Je fus bien soignée.

Ici, je place un très mauvais souvenir : Nous avions du temps en classe pour écrire à nos parents. Voilà que j’écris bravement ma lettre, et j’ai déjà mon style un peu « rentre dedans » pour me plaindre de mon ennui à certains moments, et de l’absence de ma poupée. Mal m’en a pris : Mme lit les lettres avant l’envoi ! Aie aie aie, je passe un très mauvais quart-d’heure car elle lit ma lettre publiquement et me fait honte. Mais curieusement l’incident sera vite oublié, et la soeur Directrice m’accompagne au grenier pour récupérer certains jouets. Elle avait tout de même compris ma détresse.

Ou se situait cette colonie exactement ?
En fait, j’ai cherché il y a quelques temps et ai pu découvrir que le couvent n’existe plus : un immeuble de locations a pris sa place. Par hasard, nous y avons loué deux fois un appartement avant de nous rendre compte que le lieu « Ster der Zee » à Coxyde est bien celui où jadis il y eut cette colonie de vacances. La chapelle attenante est toujours là, et les vitraux me sont revenus en mémoire lorsque j’en poussai la porte. Une très grande croix moderne, visible sur des photos, borde désormais les dunes où je jouais.

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