Je suis née à Bruxelles en avril 1940 dans une famille juive. Mes parents étaient d’origine polonaise. Je n’ai pas connu mon père, assassiné comme tant d’autres dans le camp d’extermination d’Auschwitch. Ma mère a survécu à la Shoah et ne s’est pas remariée. C’est avec elle et ma sœur Betty, mon ainée de 18 mois, que j’ai vécu jusqu’à la fin de mes études. Nous avons été élevées dans les règles très strictes de la religion juive.

J’ai fréquenté l’école Israélite de Bruxelles jusqu’à l’âge de 14 ans. C’était une école mixte, ce qui était assez rare à cette époque. Les garçons de mon école ne m’intéressaient pas du tout, par contre, vers 13 et 14 ans, j’ai été amoureuse d’un beau garçon que je rencontrais parfois à la bibliothèque que nous fréquentions mes amies et moi après l’école. Je n’ai jamais osé lui adresser la parole.

Quand j’étais au lycée, j’écoutais avec mépris les filles qui parlaient sans arrêt des garçons dont elles étaient amoureuses. Si elles les apercevaient dans un tram, s’ils leur adressaient la parole, elles pouvaient en discourir pendant plusieurs jours. Je me souviens d’une fille de 16 ou 17 ans racontant fièrement qu’elle avait deux amants, un homme de 30 ans qui lui faisait bien l’amour et un jeune de son âge dont elle était éprise mais qui n’était pas aussi satisfaisant. J’étais très étonnée, je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire et surtout j’étais choquée qu’elle puisse révéler cela devant plusieurs compagnes de classe.

Mon éducation sentimentale me venait surtout de la lecture. Je m’asseyais toujours au fond de la classe pour que les profs ne voient pas le roman que je tenais sur mes genoux et que je lisais pendant les cours. J’ai dévoré à cette époque, les 27 tomes des Hommes de Bonne Volonté de Jules Romain et les 8 volumes des Thibault de Roger Martin du Gard. La Nausée et Les Chemins de la Liberté de Jean Paul Sartre m’ont aussi troublée. Les scènes érotiques de ces livres ne me laissaient pas indifférentes mais cela restait au niveau du fantasme.

J’ai rencontré Richard quand j’étais en première candidature à l’ULB en 1958. Je m’étais inscrite pour obtenir une licence en sciences physiques, lui était en première candidature de chimie mais avait entrepris ses études après avoir déjà travaillé, il devait avoir 5 ou 6 ans de plus que moi. Nous avions des cours en commun. Au mois de novembre de cette année il y a eu une grève de tram, j’étais allée au cours à pied, c’était un long trajet d’au moins une heure. Je savais que Richard avait une voiture et qu’il habitait dans le même quartier que moi, je lui ai demandé de me reconduire chez moi ce qu’il a gentiment accepté.

Richard vivait avec son père, dans un grand appartement, à la place Van Meenen, à côté de la Maison Communale de St Gilles, à une dizaine de minutes à pied de l’avenue du Roi où j’habitais avec Betty et ma mère. J’allais régulièrement chez lui pour faire les problèmes de physique que nous devions résoudre chaque semaine. Il me raccompagnait pour rentrer chez moi en traversant le parc où nous nous attardions volontiers. Je me sentais bien avec lui, son humour me plaisait beaucoup et c’est avec lui que je préférais danser quand on sortait en bande. J’étais évidemment amoureuse de lui mais il ne semblait pas avoir les mêmes sentiments envers moi, peut être me trouvait-il trop jeune.

J’ai raté mes examens en première session cette année-là, je ne suis donc pas partie en vacances. Richard, lui, avait réussi, je m’inquiétais en pensant qu’il allait quitter Bruxelles, mais des calculs aux reins l’ont forcé à se faire opérer. Il a été hospitalisé à Cavell. L’opération ne s’est pas bien déroulée à cause d’une malformation de son urètre, une deuxième intervention a été nécessaire et il a finalement séjourné pendant trois mois à la clinique. J’allais lui rendre visite souvent, je mangeais les biscuits et les fruits que ses visiteurs lui apportait, on jouait aux échecs, c’est lui qui m’avait enseigné les règles de ce jeu. Ce furent pour moi de joyeux moments de détente pendant ces semaines de bloques.

Au mois de septembre 1959, après sa sortie de la clinique, Richard a enfin fait le geste que j’attendais impatiemment depuis des mois. Il m’a embrassé et je me suis sentie exhaussée. Quelques semaines plus tard, j’ai cédé, sans grande résistance, à notre désir commun malgré l’interdit de ma pratique de religieuse. J’avais 19 ans, je n’éprouvais aucune culpabilité dans le fait d’avoir des relations sexuelles avec le garçon que j’aimais.

Très vite j’ai consulté un gynécologue qui m’a conseillé d’utiliser un diaphragme et une crème spermicide. Je n’ai jamais été enceinte sans l’avoir voulu. L’usage de moyen contraceptif n’a pas posé de problème, je n’ai pas voulu prendre la pilule car je craignais d’éventuelles mauvaises conséquences pour mes futurs enfants.

Quelques années après notre mariage, lorsque nous avons voulu avoir un enfant, j’ai arrêté l’usage du diaphragme, mon fils est né 9 mois plus tard. Deux ans après, nous avons programmé une nouvelle naissance et cette fois c’est ma fille qui nous a comblés dans le délai prévu.

Quand ma fille a eu 16 ans, elle m’a dit qu’elle souhaitait prendre la pilule. Je lui ai parlé des centres de planning familial et lui ai aussi suggéré de s’adresser à mon gynécologue qui l’avait mise au monde. Elle a préféré la seconde proposition. Je lui ai alors demandé si elle voulait aller le voir seule ou si elle préférait que je l’accompagne. Elle a souhaité que j’y aille avec elle, j’ai été très heureuse de la confiance qu’elle me témoignait.

Mon mari était un homme très instable, tant sur le plan professionnel que sentimental. A l’âge de 50 ans il a rencontré une femme dont il est tombé follement amoureux, j’ai préféré que nous nous séparions. J’ai évidemment très mal vécu cette trahison.

Pendant les années qui ont suivi cette séparation, j’ai fait quelques rencontres masculines, elles ont été décevantes. Je n’étais pas prête à faire des concessions, peut-être étais-je trop exigeante vis-à-vis des hommes. Je me suis accommodée à vivre seule dans une réelle sérénité. Il faut dire que mes enfants, mes beaux-enfants et mes 6 petits-enfants m’apportent beaucoup de joies et d’affection. J’ai beaucoup d’activités, de nombreuses amies, je ne m’ennuie jamais.

Et voilà qu’à l’approche de mes 80 ans, un de mes partenaires de bridge, avec lequel je jouais régulièrement depuis plusieurs années, m’a fait une proposition tout à fait surprenante. Cet homme, très réservé, n’ayant jamais eu de parole ou de geste équivoque, m’a demandé de devenir sa compagne. Son épouse, à laquelle il avait été fidèle pendant plus de 50 ans, était décédée quelques mois plus tôt. La vie continuant, il ne voulait pas la poursuivre sans présence féminine.

J’ai hésité pendant plusieurs jours avant de prendre une décision. Finalement j’ai pensé que je ne risquais pas grand-chose à faire un essai.

Depuis plus d’un an, je me félicite d’avoir accepté la proposition, le temps que je passe avec mon partenaire me comble à tous point de vue. Je profite pleinement des jours et des nuits qui s’écoulent.

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