Ce récit est extrait du projet "Je raconte ma vie" dans un groupe interculturel à la Fonderie en 2018.
Nous sommes 3 sœurs : Jamila, Soumaya et Botayna. Il y a 18 ans d’écart entre la plus jeune et la plus âgée d’entre nous. Nous avons eu un grand-père polygame au Maroc. Notre mère s’est mariée à 12 ans. Toutes les 3, nous nous sommes mariées, avec des parcours très différents …
Notre grand-père maternel était très amoureux de sa femme. Et pourtant, il était polygame : il a eu 4 femmes. Chacune avait sa chambre avec 6 ou 7 enfants. La seule qu’il aimait beaucoup, c’est notre grand-mère. Ils formaient un couple très uni. Tous ses mariages étaient officiels et légaux. A 80 ans, il s’est remarié une 5e fois parce que lui et notre grand-mère étaient malades et que toutes ses autres femmes étaient décédées. Ainsi, il s’est donc marié une dernière fois avec cette jeune fille pour qu’elle s’occupe de lui et de ma grand-mère.
Jamila
Je suis l’aînée des sœurs, née en 1956 au Maroc. Mes grands-parents paternels m’ont élevée quand j’étais petite parce que ma mère était trop jeune. Elle avait 15 ans quand je suis née. Mes parents se sont mariés quand mon père avait 18 ans et ma mère 12. C’est comme si j’avais deux mamans et deux papas. A l’âge de 25 ans, ma mère avait déjà eu 6 enfants. Je l’aidais à faire les courses et à s’occuper de mes frères et sœurs. J’étais leur deuxième maman. Je n’ai presque pas été à l’école.
Je me suis mariée en 1973 en Belgique avec un Algérien. J’avais 18 ans et je vous voulais me débarrasser de mon père, trop autoritaire. J’ai commencé à travailler et puis, très vite je suis tombée enceinte. Après mon accouchement, j’ai travaillé dans la cantine d’un hôpital.
Mon mari me battait. Plusieurs fois, j’ai pris ma fille et mes valises pour partir chez mon père à Charleroi. Mon père me conseillait de divorcer. Un jour, pendant que j’étais à Charleroi, chez mes parents, mon mari est venu pour voir sa fille. Il a kidnappé notre fille et l’a emmenée à Bruxelles chez un copain. Alors mon père et moi avons porté plainte à la police. Avec l’aide de la police, j’ai repris ma fille. Nous sommes retournées vivre chez mes parents. Quelques mois plus tard, mon oncle est venu nous voir avec mon mari. Il voulait que je donne une dernière chance à mon mari. Mon père a accepté. Nous avons donc revécu ensemble. Mon mari m’a trompée. J’ai divorcé.
Soumaya
Je suis née en 1960 au Maroc. J’avais 7 ans quand je suis arrivée en Belgique. Mariée très jeune, à 16 ans, je n’ai pas terminé l’école. C’était un mariage arrangé, pas un mariage d’amour. Je me suis d’abord mariée au Maroc. Puis je suis revenue ici et j’ai changé d’avis. Il aurait fallu que je repasse à la commune et je ne voulais plus. C’était trois mois après mon mariage. Devant le bourgmestre à la commune, j’ai dit non. Mon père s’est mis dans une colère incroyable. Il ne m’avait jamais frappée mais ce jour-là, il m’a donné une gifle. Alors on a repris une date à la commune. J’avais deux choix, soit m’enfuir, mais où ? Ou bien me marier et tout accepter. Et je ne voulais pas que ma mère souffre. J’ai donc accepté le mariage.
Aujourd’hui, je suis divorcée, habite Bruxelles et suis grand-mère de 6 petits-enfants.
Botayna
Je suis née en 1974, en Belgique. Je suis la plus jeune de la famille. Très vite, je retourne vivre au Maroc et j’y fais mes études. Je reviens en Belgique à l’âge de 19 ans, après m’être mariée au Maroc avec un homme de nationalité belge.
Mon mari vivait ici en Belgique et donc nous sommes partis vivre en Belgique. J’étais contente de partir avec un mari que j’avais choisi, qui était très gentil. Puis je suis tombée enceinte. J’ai eu deux enfants. Et c’était dur parce qu’il me manquait quelque chose : cette chaleur humaine… Les voisins, les amis, ma maman me manquaient. Je n’étais pas déprimée mais j’avais idéalisé mon arrivée ici.
Mon mari allait travailler le matin et rentrait le soir. Je restais seule à l’attendre et ce n’était pas gai. Après, j’ai commencé à travailler et ça a été mieux. J’ai commencé à m’habituer, à sortir toute seule, faire mes courses. J’ai été secrétaire, interprète, j’ai travaillé et travaille toujours actuellement dans des projets sociaux.
Aujourd’hui, je suis une femme épanouie.