Je suis d’origine sicilienne, né en 1958 et je suis arrivé en Belgique à l’âge de six ans. D’aussi loin que je me rappelle, mon comportement ne correspondait pas à ce que l’on attendait d’un petit garçon. Dès ma petite enfance, je préférais les jeux de filles : j’aimais sauter à la corde, jouer à la marelle. Je mettais sur mes ongles le vernis rouge de ma mère. Je me faisais de longs cheveux avec un essuie de cuisine sur la tête. Je détestais jouer au football avec les autres garçons.
Vers l’âge de 12 ans, lorsque je vais en vacances en Sicile chez mon cousin, ses copains m’appellent « fi-fille ». Ils disent que j’ai des manières efféminées Pour que l’on ne se moque pas de moi, je dois contrôler ma façon de marcher.
Je commence à travailler à l’âge de 16 ans. A l’âge où les garçons flirtent avec les filles, moi je suis attiré par les garçons. Dans mon lieu de travail, je n’ai aucun problème avec mes collègues. Mais lors de vacances en Italie chez un autre cousin, ses amis sont cruels avec moi. Je me cache pour pleurer, mon cousin essaye de me rassurer mais c’est trop dur à supporter. Je décide même de ne plus jamais retourner en vacances chez lui pour me protéger.
Vers l’âge de 20 ans, j’ai eu mon permis de conduire, cela me permet de sortir plus loin de la maison. Je fréquentais des lieux « hétéro » puis j’assistais à des spectacles gays. Un soir, un collègue de mon père m’a vu sortir d’un de ces bars. Cela provoque des tensions avec mon père et avec mes frères.
Quand je sors, je dois tout le temps faire attention pour ne pas être reconnu. Je découvre peu à peu ma vie mais je ne m’acceptais pas encore comme homosexuel. C’est la période la plus difficile de ma vie. Je suis en dépression. J’ai pensé me suicider. J’étais partagé, une part de moi ne voulait pas, une autre part voulait mettre fin aux moqueries et rejets.
Heureusement, j’ai pu parler de mon malaise à une femme qui avait vingt ans de plus que moi. Elle aussi avait vécu des choses difficiles : on l’avait obligée à se marier. Alors on se confiait l’un à l’autre. Cela me faisait du bien d’être écouté sans être jugé.
Cette femme m’a conseillé d’aller parler à mon médecin de famille pour avoir un traitement anti dépresseur. Devant lui, je ne suis pas arrivé à expliquer pourquoi j’avais des crises d’angoisse. Le médecin m’a fait une lettre de recommandation pour un psychiatre ; j’ai déchiré la lettre et je n’y suis jamais allé.
Jusqu’à l’âge de 27 ans, je vivais encore chez mes parents. J’ai trouvé un travail à Bruxelles et je suis allé loger chez une tante.
Mon père m’a dit : « Soit tu te maries et je te donne 300.000 francs belges, soit tu quittes la maison ». J’avais pris confiance en moi. Ce jour-là j’ai osé m’opposer à mon père.
J’ai trouvé un appartement. Cela m’a permis de sortir plus librement. J’ai pu rencontrer des gens intéressants.
Je passais à la maison dire bonjour à ma mère, elle était triste mais elle m’encourageait à faire ma vie. Mais je ne parlais plus à mon père.
Pourtant, un jour, mon père s’est mis à genou devant moi pour me demander pardon. Malgré cela, un mur restait entre nous deux ; je ne pouvais plus l’appeler « Papa ».
Au début des années 80, le sida apparait. Je deviens plus prudent. J’évite les endroits pour homosexuels. Pour ne pas faire des rencontres risquées.
Je n’ai jamais fait partie d’associations de militance. J’ai toujours vécu mes relations de façon très discrète.
J’ai vécu pendant vingt ans avec un compagnon beaucoup plus âgé que moi. Quand il est décédé, j’ai rencontré mon compagnon actuel. Depuis treize ans, je vis très épanoui avec lui.
Il y a trois ans environ, un de mes neveux homosexuel s’est marié. J’ai pu présenter mon compagnon pour la première fois à la famille entière. J’en ai été très ému et très heureux.
Aujourd’hui, certaines personnes considèrent encore l’homosexualité comme un vice. Je pense que chacun doit pouvoir vivre sa vie comme il le sent et ne pas s’occuper du regard des autres.
Si c’était à refaire, je partirais plus tôt de chez mes parents.