Extrait de "Nous racontons notre vie" à Laeken (2016)
J’avais 6 ans quand la guerre a éclaté. Nous habitions à Schaerbeek.
En septembre 1940, je suis allée pour la première fois à l’école. J’étais dans une classe néerlandophone parce que mes parents étaient néerlandophones. Les Allemands obligeaient les enfants à suivre l’école dans la langue de leur communauté d’origine.
En classe, j’ai été surprise de voir une petite fille juive qui portait une étoile jaune. Les autres enfants ne voulaient pas jouer avec elle. Elle était laissée sur le côté.
A Schaerbeek, nous avons connu les bombardements de l’armée britannique. Les Anglais voulaient détruire le pont de Schaerbeek et la gare parce que la Belgique était occupée par l’armée allemande.
Je me souviens que pendant des bombardements, les Allemands sont venus chercher des Juifs. C’est ainsi que je les ai vu prendre deux filles et les jeter en bas de l’escalier. C’était affreux. De notre côté, à la maison, nous allions à la cave. Pour moi, comme enfant, c’était terrible mais aussi excitant parce qu’il fallait se cacher. Je ne voyais pas vraiment la gravité ; pourtant, je me rappelle d’un boulanger qui regardait les avions pendant le bombardement ; il a eu la tête coupée et il a continué à marcher.
Suite aux bombardements, notre maison était inhabitable et nous sommes partis vivre chez mes grands-parents maternels en Flandre. Là, j’allais à l’école sans être inscrite. En classe, l’institutrice me demandait sans cesse de parler de Bruxelles.
Un jour, mon oncle me dit : « Vous êtes venus chez nous pour manger notre pain ». Il avait plusieurs enfants à nourrir et mon papa était prisonnier en Allemagne.
Donc, nous sommes retournés à Bruxelles chez mes grands-parents paternels où nous avons été bien accueillis. Mon grand-père m’a même acheté un violon ! Ma grand’mère, très prévoyante, avait acheté, avant la guerre, des réserves de nourriture par 50 kg. Il y avait assez à manger. Nous avons même mangé après la guerre du chocolat acheté avant la guerre !
Pendant toute cette période, je n’allais pas à l’école ; je jouais avec les autres enfants. Je me souviens que nous devions nous entraîner à porter des masques à gaz.
À la fin de la guerre, ma maman a loué à Jette un « quartier » au 2e étage : deux petites pièces. L’eau était en bas. La toilette était au rez-de-chaussée dans le jardin.
À cette époque, Bruxelles était bourrée d’Américains. Ils étaient beaux, les Américains ! Heureusement que je n’avais que 11 ans ! On voyait des chars partout ! C’était la folie !
Mais nous n’avions toujours pas de nouvelles de mon père, qui avait été fait prisonnier en Allemagne. Nous voyions les autres prisonniers revenir. Certains nous racontaient qu’ils avaient vu mourir mon père. Finalement, il est revenu …
Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il vient faire ici ? ». En fait, je m’étais sentie abandonnée par lui.
La guerre finie, la vie a repris normalement, petit à petit.