Maman fut élevée dans la foi catholique. Les parents de mon père n’étaient pas croyants mais ils respectaient les convictions de chacun. Lorsque mes parents firent connaissance, ils furent favorablement accueillis dans leurs familles respectives.

A ma naissance, je fus baptisée. Maman m’enseigna quelques prières dont l’une d’entre elles était dédiée à Saint Antoine. J’y avais recours lorsque je perdais un objet car j’étais persuadée qu’Antoine m’aiderait à le retrouver. Mon éducation religieuse s’arrêtait là.

Mes parents étaient pudiques, réservés, discrets. Je n’ai jamais été l’objet d’effusions sentimentales. Je n’ai jamais vu mes parents s’embrasser, ni s’habiller ou se dévêtir en ma présence.

Lors des réunions de famille, les grandes personnes ne racontaient pas des blagues un peu osées devant les enfants et les allusions voilées n’émaillaient pas les conversations.

Pour autant, mes parents n’étaient pas « bigots ». Très jeune, je les accompagnais au cinéma, au théâtre et je chantais des chansons d’amour que j’écoutais à la radio pendant que maman faisait le ménage.

Je n’étais pas élevée dans l’ouate. Mes parents ne me parlaient pas « bébète » et les livres de la Comtesse de Ségur ne trônaient pas dans ma bibliothèque.

Il arrivait qu’un gamin me dise : « tu es la poule de Jean ! » ou bien encore : « Jean a un boentje pour toi ! ». Ainsi, il m’arrivait de lancer à papa : « Maman, c’est ta poule, hein ! ». Ce qui déclenchait le rire de mes parents.

En promenade avec maman, nous croisions parfois une femme enceinte. Mon regard s’attardait sur son ventre mais je ne posais pas de questions. Concernant le sujet, maman ne me racontait pas de fadaises du genre : « tu es née dans un chou » ou bien : « tu es née dans une rose. » mais elle ne m’éclairait pas pour autant sur le mystère du gros ventre de la dame. Silence.

A l’âge de la puberté, je constatai des transformations corporelles : des poils me poussaient, un sein glonflait, l’autre non. Était-ce normal ? Je m’inquiétais mais ne posais pas de question. Ces signaux lancés par la puberté n’avaient pas l’air d’émouvoir mes parents. Ils les vivaient dans le déni le plus absolu.

Le jour où maman remarqua des traces de sang sur mon linge, elle me questionna pour savoir si je m’étais blessée. Etonnée, je répondis par la négative. C’est de cette manière détournée que ma mère me révéla que je serais bientôt « indisposée » et que cet état se reproduirait mensuellement. Elle ajouta que je ne devais pas annoncer la nouvelle à mon père. Aucune explication ne s’ensuivit.

Tous les mois, je vivais ce pénible état dans un climat de gêne. Mes relations avec mon père étaient malaisées car ce lourd secret à porter me pesait. J’apprenais à feindre.

Le grotesque de l’histoire consistait dans le fait que mon père était au courant du « secret » et qu’il devait faire semblant de ne pas le connaître.

Mon éducation fut contrastée. Petite, j’étais élevée comme une « grande » évoluant dans un monde essentiellement composé d’adultes. En revanche, lorsque j’avais « grandi », mes parents persistaient à me voir « petite » évoluant dans la dépendance et le silence.

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