Extrait de "Nous racontons notre vie", à la Maison des Femmes de Molenbeek, 2016-2017
Né en 1946 à Etterbeek, j’ai toujours habité Molenbeek.
Mon grand-père Joseph, est né en 1850, à Nazareth, près de Gand dans la province de Flandre Orientale. Devenu adulte, il a immigré à Molenbeek, une commune ouvrière appelée le petit Manchester, à cause de nombreuses usines et ateliers installés près du canal.
Venir de Gand était alors une véritable immigration car les déplacements étaient très difficiles. Mes grands-parents ont marché pendant 1 jour et demi pour faire Gand-Bruxelles à pied : l’aventure de l’immigration !
Je suis un grand militant de l’idée que nous sommes tous des immigrés.
Les Flamands de Molenbeek étaient en perpétuelle bagarre avec les vrais Bruxellois de la rue Haute car ils travaillaient pour un salaire misérable et étaient donc en concurrence avec les ouvriers bruxellois. Mon grand-père a participé à de nombreuses bagarres entre ouvriers à la rue Haute.
Du côté de ma mère, ils étaient juifs orthodoxes. En 1910, ils ont fui les persécutions de la Russie tsariste. Ma mère, née en 1908, a été une des seules filles à aller jusqu’à l’école normale, en Belgique. C’est là qu’elle a rencontré mon père, un goy laïc. Ils ont fait un mariage d’amour, contre la volonté de son père. Du coup, elle a été reniée par sa famille. Son propre père a même signalé à la commune que sa fille était décédée. Elle-même a renié son appartenance à la religion juive, ce qui l’a sauvée sans doute pendant la guerre car, vers 1938-39, elle ne s’est pas inscrite comme juive sur les registres communaux. C’est grâce à cela que je suis né ! En effet, dans sa famille, 17 personnes sont mortes à Auschwitz ou autre part.
Quand j’ai été appelé au service militaire, au début des années 70, je devais être envoyé, en train, vers l’Allemagne, au départ de la tristement célèbre caserne Dossin. Ce train effectuait le même voyage que les déportés juifs pendant la guerre. Ma mère a écrit au ministre des armées ; « si vous faites voyager mon fils dans ce train vers l’Allemagne, je me coucherai sur les rails du train à son passage ». Mon service militaire a été transformé en service civil, j’ai passé 2 ans au Pérou où j’ai été envoyé en assistance technique.
Là-bas, puis ensuite au Venezuela, j’ai travaillé avec des tribus indigènes encore très éloignées de la civilisation. J’ai appris à vivre avec eux, à comprendre leurs mœurs, leurs attitudes. Je suis fier d’avoir contribué à y créer une école. Shell avait besoin de ce territoire et chassait les tribus qui y vivaient. Cette école existe toujours aujourd’hui ; mes premiers élèves m’écrivent parfois encore. Ils continuent à vivre de manière traditionnelle.
L’important pour moi, lors de ce service civil, était la rencontre avec les gens, connaître et apprécier les différences. C’est là que j’ai eu ma vocation : le monde ne doit pas être à l’image de l’Europe ! Quand on se promène en forêt avec les Indiens, ils marmonnent tout le temps car ils sont en contact avec l’esprit de leurs ancêtres. Savez-vous qu’ils reconnaissent les autres par l’odeur ?
Mon intérêt s’est agrandi au monde animal. Savez-vous que le chat a 35 miaulements différents, qu’il communique avec ses oreilles, sa queue, … ? Son langage est plus riche que le nôtre. Un chat de chez nous, transposé à Pékin, communique très bien avec un chat chinois !
En revenant en Belgique, j’ai poursuivi des études en éthologie. J’avais déjà fait le droit et la criminologie.
Pour moi, les animaux valent autant que les humains. Le seul moyen de vivre ensemble, c’est de se respecter. C’est vrai pour les êtres humains, les animaux, les arbres …