Extrait de "Nous racontons notre vie", à l’ONA, 2015-2016
Je suis né dans un petit village de la région de Charleroi et je continue d’y habiter. J’ai l’âge de l’Atomium : 57 ans. Je suis divorcé et ai deux enfants…
Je suis aveugle : je ne sais pas dire s’il fait clair ou s’il fait noir. J’ai été malvoyant à l’âge de 28 ans. Cela fait 9 ans que je ne vois pas s’il fait clair ou s’il fait noir… ça a été progressif. Quand j’étais adolescent, j’ai fait des études de maçon. A 18 ans jusqu’à 28 ans, j’ai travaillé en tant que maçon. Plus tard, mes problèmes de vue m’ont obligé d’arrêter.
Cette année-ci, cela fera 30 ans, que je suis devenu aveugle. Aujourd’hui, je suis passé au-delà du regard de l’autre ; quand il y a des remarques, des critiques, je n’y fais plus attention, sinon je ne sortirais pas de chez moi et ce n’est pas ce que je veux. J’ai toujours envie de faire plus, de lutter contre les différences. Je ne me laisse pas abattre. Je me déplace essentiellement dans les endroits que je connais.
Au début, il y a 30 ans, évidemment, j’ai dû m’adapter. J’avais 28 ans, j’étais marié avec un tout petit bébé. Quand l’ophtalmo m’a annoncé que je ne pourrais plus travailler comme maçon et que je devrais changer de métier, j’ai eu envie de lui donner un coup de poing.
Les premiers temps, on ne sort pas, on reste enfermé. C’est petit à petit qu’on s’y fait.
Ma belle-mère ne voulait pas que je garde le bébé, parce qu’un handicapé qui garde le bébé, ça ne va pas. Et moi, je ne savais pas ce que j’étais capable de faire ou pas. Les remarques ont continué mais à un certain moment, il faut passer au-delà.
J’ai continué à faire quelque chose de manuel. J’ai achevé tous les travaux dans la maison que j’avais achetée ; j’ai maçonné même aveugle complet. J’ai fait des escaliers. Il existe du matériel spécial, vocal : j’ai un niveau (pour que ce soit bien plat) qui bipe. La tête sait toujours ce qu’elle doit faire, les mains connaissent le métier, pour le reste il faut y aller doucement mais le mental est là.
Si je reprenais un travail, j’étais obligé de quitter un certain statut. Avec une femme et deux enfants, ce n’était pas « le top » de quitter ce statut. Le risque était de ne plus avoir aucun revenu si les complications arrivaient.
Et donc, pour occuper mes journées, j’ai commencé à faire de la poterie. J’en fais toujours aujourd’hui avec un tour. Avec mon ex-femme, on faisait des foires, on a aussi donné des cours à la maison. Maintenant, malgré le fait que je ne vois plus rien du tout, je continue à faire de la poterie à la maison. Je vais aussi régulièrement dans une autre association à Liège, « La Lumière » pour personnes déficientes visuelles. J’ai donné des cours là-bas ; je vais bientôt peut-être recommencer.
Pour les déplacements, j’ai un chien. Ce n’est pas lui qui guide, c’est moi qui lui dis à droite, à gauche, tout droit. Il faut rester toujours attentif et vigilant. Le chien évite les obstacles, je vais plus vite grâce à lui.
Ne plus savoir lire et écrire, a été un gros problème. Avant, je lisais beaucoup. Quand je suis devenu aveugle, j’ai recommencé à lire grâce à des cassettes audio. Je savais encore écrire mais je ne savais pas me relire. Quand je partais de la maison, je laissais un petit mot aux enfants, en grand avec un gros marqueur.
Aujourd’hui avec l’ordinateur, les personnes malvoyantes utilisent la souris et un agrandisseur d’écran (Supernova ou Zoomtext). Pour les aveugles, il n’y a qu’un système : le logiciel Jaws, un relecteur d’écran, sans la souris. La voix de l’ordinateur lit ce qu’il y a sur l’écran. Au niveau du clavier, sur les touches j et f se trouvent des points de repère tactile. Je tape avec les dix doigts. Tout ce qui se tape au clavier est énoncé par la voix de l’ordinateur. Quand on tape un espace, l’ordinateur répète le mot.
Evidemment, tout dépend du caractère de la personne, mais ça, c’est vrai pour tout le monde. Certaines personnes n’ont jamais eu de difficultés dans la vie et n’arrêtent pas de se plaindre. D’autres vivent des situations difficiles sans jamais rien dire.