Le 1er de l’an, c’était rituel, nous accompagnions papa dans sa « tournée des Grands-Ducs ».Autrement dit, nous allions souhaiter la bonne année aux aînés de la famille. La visite que nous préférions était celle à notre tante Jeanne. Il s’agissait en réalité de notre grand-tante, sœur de notre grand-mère trop tôt disparue et qui dès lors en tenait lieu.
L’air réjoui, elle nous accueillait à son domicile, rue de la Wache, toute pimpante et fleurant bon le « Soir de Paris ». Au fur et à mesure que nous gravissions l’escalier qui menait au logement qu’elle occupait à l’étage de la maison, une agréable odeur de pâtisserie nous chatouillait de plus en plus les narines : c’était sacro-saint : ce jour-là, elle faisait des galettes de Nouvel An, autrement dit des petites galettes vanillées rondes que dès la sortie du gaufrier, alors qu’elles sont encore toutes chaudes, elle enroulait et laissait refroidir avant de les fourrer d’une crème au beurre vanillée…. Mmm…un délice !
Par l’odeur alléchées, nous pressions le pas pour avoir accès plus vite à ces bonnes choses, mais voilà que, d’un bras impérieux, l’air sévère, elle arrêtait la plus pressée en criant « Attention où tu marches ! » et, baissant le regard, nous découvrions, horrifiées, un gros étron encombrant le couloir. Tante Jeanne, morfondue, nous enjoignait d’aller chercher un torchon à la cuisine « pour nettoyer tout cela », ce que nous nous empressions de faire ! Et c’est au moment où nous allions nous atteler à la tâche, le nez pincé et la mine passablement dégoûtée que nous nous apercevions de la supercherie : il s’agissait ni plus ni moins d’une imitation à s’y méprendre déposée à un endroit judicieux, mais qui provoquait immanquablement la réaction escomptée. Tante Jeanne riait aux larmes de nos mines estomaquées et, pour nous remettre de nos émotions, nous priait d’entrer pour aller enfin boire un petit verre bien mérité. A peine avions-nous mis le pied dans le séjour qu’elle se remettait à pousser des cris en nous indiquant, d’un index tremblant, une souris accrochée aux tentures. Dans sa frayeur et son agitation, elle renversait malencontreusement un encrier posé sur un guéridon ! Tout cela ajoutait à la confusion générale mais, vous l’aurez compris, cela faisait partie de la panoplie de farces et attrapes dont tante Jeanne se faisait un plaisir de parsemer son logement à chacune de nos visites, à notre plus grande joie d’ailleurs.
Elle invitait ainsi papa à s’installer dans un des fauteuils du salon sur lequel était disposé un coussin qui, lorsque l’on s’y asseyait, laissait échapper un voluptueux bruit de flatulence, ce qui déclenchait l’hilarité générale et la confusion rougissante de « l’auteur du méfait ». Puis, ayant servi un doigt de muscat aux plus jeunes, un verre de porto aux adultes, elle demandait à l’une de nous de faire le service des sucreries qui se trouvaient dans la boîte rangée sur la commode. L’intéressée se précipitait pour ce faire, mais, en ouvrant le couvercle c’était non pas lesdites sucreries mais bien un diablotin sur ressort qui lui sautait au visage.
Bref, chaque année, c’était un vrai bonheur d’aller découvrir quels trésors d’imagination tante Jeanne aurait encore déployés pour nous surprendre. Petits et grands, chacun avait un plaisir fou à ce petit jeu…
C’est un genre d’humour qui se perd, c’est bien dommage !
Madelaine, membre de "J’écris ma vie" Répondre
Tout en lisant ce joli texte, je m’imagine une souris verte qui doit encore rire de la bonne humeur de cette tante très espiègle.
Merci de nous faire partager ces beaux souvenirs !
Je vous souhaite une belle année 2005 remplie de plaisirs et surtout de la santé ! Continuez à partager avec nous, les belles images de votre passé.....
Madelaine Michaud de Boisbriand au Québec