Extrait de "Nous racontons notre vie", Laeken, 2012-13
Belge, maman, mamy et senior active, je suis née en Belgique au début de la guerre de parents juifs allemands.
Enfance en Belgique, pendant la guerre
Mes parents sont juifs, originaires d’Allemagne. Ils ont fui l’Allemagne nazie avant la guerre. Ils se sont connus en Belgique en 1938. Papa était gantier. Il adorait les photos et avait une voiture. C’était un papa « moderne » : il s’est beaucoup occupé de moi, bébé ; il me donnait le bain et à manger. Il a été dans les premiers déportés en 1940. Il est mort du typhus en août 1940 ; j’avais 6 mois.
Avec maman, mon oncle et ma tante, nous avons dû nous cacher pendant la guerre, d’abord dans un hôtel à Corbion sur Semois, au sud de la Belgique, ensuite à Biemme où une dame âgée, Emma, nous a recueillis dans sa grande maison. Je me souviens que le curé du village n’avait jamais vu de juif, il voulait en voir un. Mais enfin, cela ne se voit pas les juifs … rires … Ce curé est devenu l’ami de mon oncle. Un souvenir marquant ? et bien justement, à Biemme, je nous revois tous les quatre cachés derrière une porte dans la grande maison. Et devant la porte, il y avait cette dame, que j’appelais tante Emma, qui discutait calmement avec les allemands en pleine rafle !
Etre femme
Quand j’étais adolescente, je me disais que plus tard j’aimerais m’occuper de mes enfants. Dans les 7 premières années de mon mariage, j’ai travaillé. Ensuite avant d’accoucher pour la première fois, j’ai arrêté. J’avais l’impression d’être sans valeur ; mon mari gagnait bien sa vie. Quand on demandait à mon mari ce que je faisais, il répondait : ma femme, elle ne fait rien, elle est à la maison. Mon mari ne langeait pas les enfants, ne les lavait pas. Un jour, nous sommes partis en vacances, les enfants avaient quelques mois ; il m’a dit : mais tu n’arrêtes pas entre les repas, la lessive et le reste ! Une jeune fille a été engagée pour m’aider. Rester à la maison n’est pas un travail gratifiant. L’homme, lui, il trouve cela normal.
Quand mon mari est devenu indépendant, j’ai dû recommencer à travailler comme secrétaire. Ma fille avait 15 ans et elle ne l’a pas bien supporté. Mon mari, forcé et contraint, faisait juste les grosses courses en plus.
Religion, philosophie de vie
Je ne veux pas vous heurter mais … par ma mère, je suis née juive, dans une famille où on ne pratiquait pas. Enfant, j’ai appris un peu l’hébreu mais ce n’était pas drôle et je n’en n’ai pas gardé grand-chose. Est-il possible qu’il existe un Dieu qui laisse faire des atrocités sur terre ? Dans la religion juive, il existe des choses dont on ne peut pas discuter, on refuse de moderniser cette religion ; on ne peut toujours pas manger de porc. Avant, je comprends, le porc était la viande qui se laissait le moins bien conserver mais maintenant tout a changé …
Je ne crois pas que c’est Dieu qui a créé la vie sur la terre ; je crois en l’évolution, les recherches sur les galaxies.
Je me suis toujours sentie belge ; je suis née ici. Même si mes parents ont fui l’Allemagne nazie puisqu’ils étaient juifs. A 18 ans j’ai choisi d’être uniquement belge, pas allemande ! Je me suis toujours sentie intégrée et comme les autres, tout en étant juive. Je reconnais être juive mais je ne le revendique pas. Jamais je n’ai senti de discrimination.