Vous avez sûrement déjà vu ce biplan orange suspendu dans le hall d’entrée de notre aéroport national. A l’arrière, sur le haut de sa dérive, il porte trois lettres noires, SV4, pour nous rappeler le nom de ses constructeurs, mais les pilotes l’appellent Stampe, tout simplement. Il a un don particulier pour moi, c’est celui d’évoquer un événement que je situe au beau milieu des années 60. Ce doit être cet avion que j’ai vu voler quand je travaillais à l’aéroport de Gosselies. Son pilote attitré était major à la Force Aérienne. Il réalisait avec cet appareil des acrobaties spectaculaires.

Un jour, au Mess des pilotes, le major propose à notre directeur de l’emmener là-haut dans son biplan, le mettant en quelque sorte au défi d’oser voler avec lui. Pour ne pas perdre la face devant les autres gradés, notre directeur accepte, malgré l’inquiétude que suscite en lui ce projet un peu fou.
Et par un belle journée d’été, les voilà qui s’envolent dans ce vieux coucou qu’utilisent encore aujourd’hui des pilotes chevronnés pour pratiquer la voltige.

Le bouche à oreilles nous ayant averti de leur projet, nous sommes tous là, sur le tarmac, à observer les évolutions de leur appareil. D’emblée le major met toute la gomme, il enchaîne les figures classiques en acrobatie : loopings, tonneaux et vrilles.

A plusieurs reprises il simule une panne de moteur et se laisse tomber en perte de vitesse, comme une feuille morte, jusqu’au ras du sol d’où il rebondit miraculeusement vers les nuages, dans le vacarme de son moteur retrouvé.

Et notre directeur dans tout cela ? Nous ne pouvons pas le voir, mais nous pensons tous qu’il passe un mauvais quart d’heure, sanglé sur son siège dans un cockpit étroit et le corps soumis aux forces et aux vibrations qu’engendre cette voltige effrénée. Enfin, après avoir épuisé le répertoire complet de l’acrobatie aérienne, le petit avion biplace atterrit gentiment au soulagement de tous, sauf peut-être de certains adjoints de notre directeur, qui eux semblent déçus, car ce n’est pas encore aujourd’hui que la succession sera ouverte ! Toutefois deux brancardiers du service sécurité et hygiène se précipitent et recueillent notre directeur sur leur civière. Lui, mis à part son visage anormalement pâle, semble sorti indemne de l’aventure, mais ils insistent et l’emmènent, non pas à l’infirmerie comme vous pourriez le croire, mais bien au bar des pilotes afin de célébrer dignement ce baptême de l’air très particulier.

A l’époque nous fabriquions déjà des avions capables de voler deux fois plus vite que le son, des engins dont on se demandait s’ils étaient encore des avions ou déjà des fusées. Et leurs jeunes pilotes d’essai se moquaient bien du vieux major et de son biplan hérité de la guerre 14-18. Mais aujourd’hui, des Stampe, comme le sien, volent encore tandis que leurs avions-fusées sont partis depuis longtemps à la casse ou au musée. Quelle belle revanche !

Voilà pourquoi, quand je passe à l’aéroport, je ressens comme une nostalgie en jetant un coup d’œil furtif sur le vieux coucou pendu là-bas au plafond. Et pendant quelques instants je revois en pensée ce merveilleux fou volant dans sa drôle de machine…

3 commentaires Répondre

  • girouette Répondre

    Waouw ! J’en ai des frissons... surtout le passage où l’avion fait le "mort" et rebondit vers le ciel in extremis !!!

    😉

    Girouette, Magu’nimatrice

  • dadu Répondre

    Et oui, ces petits avions méritent notre intérêt, voire même notre respect. C’est sur un de ces engins que j’ai fait mon baptême de l’air à Casteau près de Mons. Mais pour moi, pas d’acrobaties, Dieu merci ! La seule glissade sur l’aile finale a suffi à solliciter une dose d’adrénaline dont je me souviens encore. Merci à Jacques de m’avoir rappelé ce souvenir.

  • Michèle Répondre

    La prochaine fois que je passe à Zaventhem, c’est promis, je chercherai ton avion et je le regarderai, alors que je ne l’ai jamais regardé avant et je penserai à ton histoire.

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