Elle a belle allure, assez forte et imposante, autoritaire, ce qu’on appelle une femme de caractère.
Lui est un beau jeune homme, fin, de beaux yeux bleus, courtois.
Elise est née en 1886, scolarisée, elle est propriétaire d’un magasin tabac/cigares/alcool dans la rue des Guillemins à Liège, endroit fort fréquenté car non loin de la gare.
Lambert, né en 1898, est petit employé à l’usine Espérance-Longdoz, usine d’extraction de charbon, également située à Liège. Il est amoureux des chiffres, travailleur méticuleux, plein de patience et très respectueux envers les ouvriers de la société. Il est plutôt optimiste.
Le commerce d’Élise tourne bien. Il est fréquenté par la petite bourgeoisie de passage, se rendant à la gare, ou par les gens du quartier. En ce début du XX ème siècle, cela doit être une clientèle bien masculine, vêtue d’un chapeau, de beaux vestons, se rendant au travail ou en revenant. Lambert passe chaque jour dans le coin prendre son transport pour l’usine.
Elise est célibataire de longue date et la compagnie lui vient à manquer. Elle se dit, pourquoi pas faire un petit marmot. Oui mais, en ces années post-grande guerre, il est bien mal vu d’avoir un enfant hors mariage. Elise ne sait que faire. Elle se dit qu’elle trouvera bien quelqu’un parmi les nombreux courtisans qui fréquentent son commerce. Oui, Elise est très belle et les candidats ne manquent pas. Lambert courtise Elise assidûment. C’est lui qui sera le papa de son fils. Le mariage est célébré dans l’intimité, sans robe blanche, sobrement semble-t-il. Elle a 38 ans, lui 26. Pas très classique pour l’époque. Papa naîtra trois ans plus tard, en 1926.
La vie du couple est assez tumultueuse. Le caractère d’Élise ne laisse pas beaucoup de répit, ni à Lambert ni à Pierre, le jeune enfant. Il est fort couvé par sa maman. La famille déménage Place Cathédrale et habite au-dessus du commerce d’Élise. La vie est remplie de soirées autour de la table à taper la carte, la belote surtout. Lambert se rend souvent à la pêche. L’enfant grandit, fait des études secondaires à St Barthélemy. Puis se pose le choix des études universitaires. Maman Elise le voit médecin et désire à tout prix qu’il étudie la médecine. Mais le jeune homme lui tient tête et s’oriente vers des études d’ingénieur. Il deviendra ingénieur-architecte.
Ma grand-mère paternelle est décédée en 1970, j’avais 14 ans, mon grand-père nettement plus tard.
Mes grands-parents ont toujours habité avec nous. Je les ai toujours connus à la maison, avec de chouettes souvenirs. Le mercredi après midi, nous tapions la carte dans leur petite salle à manger, avec ma sœur. Je n’aimais pas les jeux de carte. Mais il y avait le goûter, une petite pâtisserie que nous allions acheter chez le boulanger du coin. Une tartelette à la fraise pour Elise et des choux pour Lambert. Pareil le dimanche midi....Elle décédera de la gangrène suite à un diabète, elle qui disait toujours « si c’est bon, cela ne peut pas faire de tort ! ». Je me souviens de lui venant nous chercher à la fin du rang, quand nous étions à l’école primaire : toujours très courtois envers la gente féminine, la saluant en soulevant son chapeau et ne se déplaçant jamais sans sa canne. Il habitera avec nous jusqu’à la fin de sa vie, toujours digne .
Mon père aura hérité du caractère autoritaire, mais attentionné, d’Élise, que ma maman aura supporté avec beaucoup de patience durant toute sa vie d’épouse. « Il est si gentil ! » dira-t-elle toujours, avec une certaine résignation. Et nous serons 5 enfants à la maison.