Août 1959, j’ai quitté la Belgique...quitté Papa, Maman. J’avais alors 21 ans J’étais heureuse, épanouie. Je pris l’avion pour la première fois, atterrissant à Rome, Athènes, Le Caire, Cano, des noms qui me faisaient tourner la tête, m’enchantaient ; puis Léopoldville ! Séjour d’une semaine, fleuve Congo impressionnant...enfin attribution d’un premier poste comme enseignante pour une année scolaire, à Usumbura, Burundi !

Après trois jours de formalités, d’installation domestique, acquisition d’un scooter, plein de contacts chaleureux, accueillants du petit monde belge... je découvris l’école « asiatique » où j’allais exercer deux jours plus tard...

Mais pourquoi cette appellation « école asiatique » ?

Le siècle écoulé, Anglais, Belges, Allemands prirent possession de l’Afrique, se répandant d’est en ouest, dans ce continent immense. Dans la partie sub-saharienne, ils trouvèrent installés des comptoirs arabes et indiens. Ceux-ci étaient purement de facture économique : marchandises, matières premières. Ils monopolisèrent les marchés d’échange et s’infiltrèrent au diapason des colonies en formation. Ils furent complémentaires, ne visant qu’une chose « faire du commerce », étoffes, épices, bien sûr, produits de tous ordres articles hétéroclites, de type bazar.

Les colons se réservaient l’extraction de minerais, la culture de café, de thé, pyrèthre, etc. Jamais l’intérêt de type négoce à l’indienne ne les effleura ; point de rivalité donc, l’harmonie régnait entre les communautés. Ces familles et commerces indiens et arabes s’installèrent côte à côte, devenant le quartier asiatique.

De jolies maisons d’un étage, commerce au rez-de-chaussée, logement au premier. Toutes colorées, jaunes, bistres, rouges, vertes, des bougainvilliers coiffant tout cela. Ces gens s’exprimaient en indo-pakistanais, en anglais, dialectes divers... Ainsi le joli bâtiment, « école asiatique » avait été construit à l’intention des nombreux enfants de ce quartier. Et voilà où j’arrivai...débarqua plutôt, tant l’écart était grand, entre les côtes du Brabant wallon et les collines lumineuses du Burundi. Entre les visages pâles et tous mes petits bronzés...

Ce fut passionnant que d’enseigner le français à ces jeunes enfants de six ans par le jeu, les subterfuges, les leçons de choses qui nous entouraient, la vie de tous les jours. Après un an, mission accomplie, ces vingt-cinq enfants pouvaient alors commencer un vrai cycle scolaire belge.

Nous avions fait un pacte, ces enfants et moi, « je vous apprends le français et vous m’apprenez le swahili ». Ils furent meilleurs élèves que moi. Tant mieux, n’en parlons plus.

J’avais pris l’habitude de récompenser un enfant méritant, par un tour en vespa, le mercredi après-midi. Quel succès quand je me pointais à tel magasin ou telle famille de l’enfant lauréat ! Tout le monde assistait à la pétarade du départ, un petit tour de 10 minutes du Tanganika, tout proche, et, au retour, un thé parfumé, le meilleur que j’ai jamais consommé, me remerciait...

J’avais une excellente relation avec ces gens. Je les aimais ! En découlait une suite harmonieuse dans mon travail avec les enfants. Côté travail, tout coulait de source, l’imagination ne faisait pas défaut, chaque jour était exaltant, ce n’était point labeur !

Usumbura s’étalait en une cascade très large, depuis les premières collines à l’Est où trônait un superbe collège jésuite ; puis s’étalait harmonieusement autour de petites villas, bungalows, petits immeubles de deux étages, avant de dévaler jusqu’au grand lac Tanganika. La ville était tracée en avenues bordées de flamboyants, des arbres, d’un rouge chaleureux comme son évocation, mais aussi, des arbres rares comme les jacarandas, d’une couleur bleu violet, presque fluorescent, qui tranchaient si bien sur le feuillage vert pâle des essences africaines.

Au sud s’étendait la grande plaine de la Ruzizi, rivière très vive ! La communauté noire était concentrée de ce côté ; ils vivaient très rapprochés les uns des autres et j’avoue que je n’y pénétrai jamais ! Cela ne se faisait pas ! Cette plaine chaude au bord du lac, était le lieu de prédilection des crocodiles du Nil et des hippopotames qui ne demandaient pas de câlins.

Toutefois me restaient le désir, la grande curiosité, l’intérêt humain de mieux connaître les indigènes ! lls nous entouraient, mais n’intégraient pas notre société ! Donc, pour les découvrir dans leur vie, leur habitat, il me fallait entrer en communication. J’avais connaissance de centres de soin en brousse ! des dispensaires ! Je repérai un jeune médecin qui avait pour mission de se rendre une fois par mois, dans ces-dits dispensaires !

J’expérimentai...et fut conquise, j’accompagnai ce « muganga » de façon assidue. L’école m’octroyait un jour de congé par mois. Tout était bien ! Le « muganga » dixit le docteur, était attendu dans la crainte ou la fascination. Le sorcier du coin, comme la maman aux herbes, ou autres panacées restaient omni présent dans leurs valeurs et prérogatives et observaient notre médecine, ce qui était un peu gênant.

Les patients défilaient pour se laisser palper ! Le « muganga », stéthoscope sur les oreilles, installé sur un tabouret de fortune, les pieds plantés au sol, relevait la tête de temps en temps pour apercevoir la file qui s’allongeait : ma modeste contribution consistait à canaliser ce monde hétéroclite ; instaurer des priorités de passage, selon l’état de la patiente ou simple visite ! L’ambiance était bon enfant, rares étaient les récalcitrants qu’il fallait obliger à la présentation ! Souvent les vieux, très vieux on les laissait en paix. Par contre, les mères présentaient leurs enfants avec chaleur et fierté ! A ce moment je participais plus largement. La maman ayant son dos pour porter l’un, une hanche offerte au deuxième, que faire pour les suivants ?

Il se passait toujours quelque chose de drôle, de pathétique, voire dramatique, parfois !

« Muganga » s’attendrit sur un adorable bébé, l’élèva à la hauteur des yeux, reçut le pipi d’ange dans la figure ! Côté drôle pour moi bien sûr.

Une autre fois un jeune enfant hurlait de douleur, enveloppé dans ses frusques. Je le soulevai, les mains sous les aisselles, il se calma, je le posai sur mon bras, il hurla à nouveau ! Une fois déshabillé, il y avait déchirures aux testicules...urgence !!

Une naissance spontanée, presque dans la file d’attente.... La future mère se détache, accompagnée d’une autre, à trente mètres dans les buissons, peu de temps avant les cris d’un petit...Et vint un bébé très clair ! Séché rapidement par chiffons, venu parmi nous dans la joie, l’effervescence collective, et reçu précieusement par notre « muganga ».

Ainsi l’Afrique m’étonnait, m’enchantait, j’avais rêvé ! Voulu voir ! Je voyais.

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